Les lois Macron et Rebsamen taillent à la hache dans le droit du travail

10 août 2015 | Dans la Loi, Emploi et Chômage

La loi Macron, légèrement censurée par le Conseil constitutionnel, est publiée ce vendredi 7 août dans le Journal officiel. Avec la loi Rebsamen, ces deux textes sont porteurs de changements majeurs, notamment sur le travail et l’emploi. Passage en revue de ce qui change.

« La mise en œuvre de la loi Macron sera faite sans délai » a précisé le Premier ministre après l’examen de la loi par le Conseil constitutionnel. De fait, le texte est publié ce vendredi 7 août au Journal officiel. Deux jours auparavant, le Conseil constitutionnel avait invalidé une vingtaine de dispositions, dont celle sur la réforme de l’indemnisation des prud’hommes et l’amendement Longuet, ouvrant la voie à l’enfouissement des déchets radioactifs à Bure, dans la Meuse (lire ici ou ).
En juillet dernier, au moment de l’adoption de la loi Macron et de la loi Rebsamen par le Parlement, nous avions passé en revue les deux lois sociales du gouvernement. Au-delà du prix des lunettes et du permis de conduire, ces deux textes sont porteurs de changements majeurs, notamment sur le travail et l’emploi. Voici à nouveau cette analyse.
Macron à l’économie, Rebsamen au travail, chacun sa loi symbole. Durée du voyage législatif pour la loi sur la croissance, l’activité et l’égalité économique, qui a finalement été adoptée par 49-3 vendredi 10 juillet ? Sept mois, émaillés par l’émergence des députés frondeurs, la reprise en main par Manuel Valls du gouvernement socialiste ainsi que la montée en puissance d’un ministre ex-banquier, Emmanuel Macron.
François Rebsamen, qui a de son côté porté la loi sur la modernisation du dialogue social, a compris la leçon. Lancé en procédure accélérée, son texte a été pensé a minima pour pallier le désaccord des partenaires sociaux, légèrement musclé sur la fin pour répondre aux souhaits d’un premier ministre proche des PME-TPE. Le texte a lui aussi été adopté en deuxième lecture à l’Assemblée nationale.
Malgré ces parcours différents, les lois Macron et Rebsamen ont bien des points communs. Elles traitent toutes les deux principalement du travail et de l’emploi, parmi une kyrielle d’articles qui relèvent davantage de la liste d’épicerie que d’une véritable orientation politique. Ainsi la loi Macron place, dans le même texte, le fait d’élargir considérablement le travail dominical et la manière dont une copropriété décide de raccorder son immeuble à la fibre optique…
Ce faisant, le gouvernement a considérablement dévoyé l’exercice législatif, mais surtout noyé les acteurs. À ce jeu-là, c’est souvent les moins armés qui perdent, comme l’illustrent la faible ou trop tardive mobilisation des salariés et l’offensive payante des professions réglementées.
Ces lois fourre-tout, comment seront-elles appliquées ? Surtout, ont-elles une chance de réellement favoriser la croissance et l’emploi ? Plusieurs articles vont être vraisemblablement portés à l’attention du Conseil constitutionnel, que ce soit la possibilité d’enfouissement des déchets radioactifs dans la Meuse ou encore celui sur les indemnités prud’homales. En attendant le dénouement, décryptage des principaux changements.
Code du travail

  • Mesure choc, introduite en cours de route à la demande de Manuel Valls, la loi sur le dialogue social entérine la possibilité de renouveler deux fois (au lieu d’une seule) un CDD, tout comme un contrat d’intérim. Les parlementaires ont néanmoins conservé une durée maximale de 18 mois pour ces renouvellements, en lieu et place des 24 mois un temps proposés.
  • C’est l’un des aspects les plus médiatiques de la loi Macron, marqueur d’un tournant libéral assumé. Les commerces sont autorisés à ouvrir douze dimanches par an, au lieu de cinq jusqu’ici, sauf veto municipal. Dans un certain nombre de zones touristiques internationales définies par décret (essentiellement à Nice, Cannes, Deauville et Paris), les magasins pourront ouvrir tous les dimanches et le soir jusqu’à minuit. Cette disposition concerne également certaines gares, sans oublier les zones commerciales bénéficiant d’une dérogation sur arrêté préfectoral, autrefois bornées à un million d’habitants, désormais sans plancher.
    Les enseignes devront, pour ouvrir tous les dimanches, mettre sur pied un accord de branche, de groupe, d’entreprise ou d’établissement. C’est l’accord de groupe qui inquiète le plus les syndicats hostiles au travail dominical, car il permet à un groupe de faire voter à tous les salariés un accord qui s’appliquera seulement à une partie d’entre eux. Les contreparties sont effectivement obligatoires, mais non formalisées dans la loi (sauf pour le commerce alimentaire), ce qui laisse craindre de fortes disparités selon les magasins. Le clic-P, intersyndicale du commerce parisien, concerné à plusieurs titres, a d’ores et déjà annoncé son intention de passer, « de la guerre ouverte » à la « guérilla judiciaire », pour empêcher l’extension du travail le dimanche.
    Seule vraie concession, et alors qu’Emmanuel Macron et François Rebsamen y étaient plutôt favorables, l’Assemblée nationale n’a pas suivi le Sénat sur l’extension de l’ouverture dominicale à l’année pour les enseignes de biens culturels. Bronca des libraires indépendants, risque de concurrence déloyale auprès de tous les vendeurs d’électroménager, « l’amendement Bompard », du nom du PDG de la Fnac, est donc enterré.
  • Le compte personnel d’activité doit rassembler, pour chaque salarié, tous les droits sociaux qu’il a acquis (pénibilité, chômage, formation). L’objectif de cette mesure essentielle du programme de François Hollande est de pallier la discontinuité des vies professionnelles et de ne plus attacher les droits à l’emploi mais à la personne. La loi sur le dialogue social donne une toute petite impulsion, en demandant simplement un rapport sur la question. Elle acte également que la concertation doit engager avant décembre 2015 avec les partenaires sociaux une mise en route en 2017.
  • Un dernier article inquiète beaucoup l’aile gauche du Parlement : le gouvernement est autorisé à prendre par ordonnance (c’est-à-dire sans passer par une autre loi) une série de mesures pour notamment « abroger les dispositions devenues sans objet et assurer la cohérence rédactionnelle dans le code du travail et entre le code du travail et les autres codes ». Cet article, introduit dans un contexte lancinant de remise en cause du code du travail – ce livre « obèse et indigeste », selon Robert Badinter –, laisse augurer encore de nombreux changements d’ici la fin de l’année 2015.

Dialogue social

  • La représentation des salariés des très petites entreprises (TPE) : purement et simplement supprimée au Sénat, l’Assemblée nationale a rétabli la nouvelle instance à destination des toutes petites entreprises. Les 4,6 millions de personnes embauchées dans les TPE (moins de 11 salariés) auront donc bien accès à des commissions paritaires régionales, composées à égalité de représentants de salariés et d’employeurs. Interprofessionnelles, ces instances nouvelles auront un pouvoir limité puisque les représentants ne pourront pas entrer dans les entreprises sans l’accord de l’employeur. Le salarié membre de cette commission paritaire ne disposera par ailleurs que de 5 heures de délégation par mois.
  • Désormais, toutes les entreprises entre 50 et 300 salariés pourront se doter d’une DUP qui fusionnera toutes les instances représentatives des employés : délégués du personnel (DP), comité d’entreprise (CE), ainsi que le comité d’hygiène, de sécurité, et des conditions du travail (CHSCT). Les entreprises de plus de 300 salariés également, s’il y a accord d’entreprise. Les instances restent formellement distinctes au sein de la DUP, mais devront néanmoins partager élus, temps de délégation en partie, ordre du jour lors des réunions avec la direction. Chaque instance conserve le droit de commander une expertise aux frais de la direction, mais des expertises communes sont désormais possibles. (Lire aussi notre précédent article sur ces transformations et sur les CHSCT.)
  • Ajout important, la consultation annuelle sur la situation économique et financière de l’entreprise par les salariés pourra aussi porter sur la politique de recherche et de développement technologique de l’entreprise, y compris sur l’utilisation du crédit d’impôt pour les dépenses de recherche et sur l’utilisation du crédit d’impôt pour la compétitivité? et l’emploi. De nombreux syndicats ont déjà dénoncé, sans toujours avoir accès aux chiffres, le fait que les sommes versées n’avaient servi ni à la recherche, ni à l’emploi. Les députés ont abaissé aux entreprises de 1 000 salariés l’obligation de mettre en place des administrateurs salariés au sein des holdings de tête des groupes (au lieu de 5 000 actuellement). (Lire ici notre article sur le scandale du crédit impôt recherche.)


Lire la suite de l’article sur Médiapart : « Syndicalisme » / « Parité Homme-Femme » / « Santé au travail » / « Intermittence »

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