Benoît Serre : « Beaucoup quittent aujourd’hui un emploi pour un travail »

Emploi et Chômage

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Benoît Serre est vice-président de l’Association nationale des DRH (ANDRH)

Travail & Sécurité. Qu’est-ce que le contexte de ces dernières années a changé dans les entreprises ?

Benoît Serre. Nous traversons une période de grandes ruptures, une conjonction d’événements en train de transformer le monde du travail. La crise sanitaire a cristallisé dans les entreprises des sujets déjà présents depuis longtemps, mais qui étaient mis de côté car écrasés par l’environnement de chômage de masse.

La préoccupation portait alors sur l’emploi et non sur le travail. Pendant longtemps, on s’est intéressé à ce qui entourait le travail et pas assez au travail proprement dit.

Le recours massif au télétravail durant la pandémie a par exemple fait exploser le modèle d’organisation du travail que l’on connaît depuis le XIXe siècle, présenté comme immuable : celui d’aller au bureau le matin et d’en rentrer le soir.

Cette période a démontré qu’un modèle alternatif était possible. On a vu qu’on pouvait travailler autrement, que le travail n’avait pas forcément et systématiquement besoin d’être encadré par un process défini.

On a découvert que le travail « en confiance » existait ! Pour beaucoup, la période de Covid a aussi été l’occasion de relativiser le poids de l’activité professionnelle dans leur existence, alors qu’auparavant cette dernière était très structurée par le travail.

Puis, avec l’inflation, la guerre en Ukraine…, ce processus de relativisation a continué.

Avec quelles conséquences ?

B. S. Si on ajoute à cela la baisse du chômage de masse, sur un certain nombre de métiers, nous sommes en train de passer d’un marché d’employeurs à un marché d’employés, qui se traduit par une difficulté pour nombre d’entreprises à recruter.

Le rapport de force s’est inversé. Cela s’observe en particulier dans les métiers à fortes contraintes (horaires fractionnés, faiblement rémunérés…), comme l’hôtellerie-restauration, mais aussi dans d’autres, moins attendus, comme les métiers de la tech, du fait que la France forme chaque année 40 000 ingénieurs alors qu’il en faudrait 50 000.

La nouvelle génération s’engage beaucoup plus pour son travail que pour son entreprise.

Aujourd’hui, les gens quittent un emploi pour un travail. Dans ce contexte, la question à se poser en tant que DRH est : pourquoi les gens ne restent pas, ou ne veulent pas de ce poste ?

C’est que l’exercice du travail qu’on leur demande n’est pas satisfaisant de leur point de vue, en matière d’organisation, de management, d’intérêt…

Parallèlement, quels sujets avez-vous vu émerger en santé et sécurité au travail ?

B. S. La santé mentale est en haut de la pile. Or, les entreprises, les DRH, tout le monde est assez démuni. C’est un sujet qu’on ne sait pas traiter, car c’est multicausal et c’est dur d’en définir les limites, les contours…

C’est l’un des thèmes majeurs des recherches et des actions à mener aujourd’hui.

Les conditions de travail numériques sont une autre préoccupation. Interruptions fréquentes, surinformation, connexion à des heures tardives…

On sait que l’hypersollicitation est un facteur de dégradation de la santé mentale. Or c’est un élément qui n’est pas suffisamment pris en compte.

Le droit à la déconnexion est protecteur dans la mesure où vous ne pouvez pas sanctionner quelqu’un qui n’a pas répondu à un mail en dehors des horaires de travail, mais ce n’est pas suffisant.

Sur toutes ces questions, vous insistez sur l’importance du dialogue social…

B. S. Globalement, en matière de risques professionnels, la prévention est étroitement connectée à la réalité de l’entreprise.

C’est un vrai sujet de dialogue social, à la fois avec les instances, entre la direction et les partenaires sociaux, mais aussi avec les managers de proximité, ces derniers étant ceux qui connaissent le mieux le métier.

Lorsque j’étais DRH de Leroy Merlin en Russie, il n’y avait pas de syndicats dans l’entreprise. Pour un DRH, ça pouvait sembler une situation rêvée.

Or ça rendait tout dialogue social impossible. À tel point que j’ai demandé la désignation de représentants du personnel dans chaque magasin pour impulser des échanges plus constructifs.

Selon moi, le dialogue doit se passer au sein de l’entreprise, au plus près du terrain, car chaque entreprise a son propre mode de fonctionnement.

Lire la suite, « Quelles seraient les pistes d’actions pour améliorer le travail ? », sur le site Travail et Sécurité

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