Guide Pratique pour les Acteurs de l’Entreprise

Mise à jour le 06 octobre 2024

Le travail est une donnée complexe. De nombreux savoirs sont mobilisés pour le concevoir et le prescrire, souvent perçus de façon réductrice. Le juriste parle du contrat de travail, le chef d’entreprise fixe les objectifs, l’organisateur définit les procédures, l’ergonome évoque les gestes et postures.

Du côté de l’organisation du travail, l’expérience du travail est souvent réduite à l’application des consignes supposées rendre compte de toutes les situations que le salarié va assumer. Mais sur le terrain, travailler implique de sortir du discours pour se confronter au réel.

Faute que chacun coordonne son action à celles des autres, aucune coopération n’est possible. Chacun des protagonistes fonctionne sur des idées reçues. Autant d’interprétations plaquées faisant faire l’économie de l’analyse des conditions de travail: « harcèlement », « conflit de bonnes femmes », « fragilité personnelle», « lutte des classes »…

Nous n’avons cessé de le répéter, travailler ensemble ne se limite pas à juxtaposer des professionnels les uns à côté des autres. Il s’agit de coordonner les tâches et les savoir-faire des femmes et des hommes de métier plutôt que les tuyaux des usines à gaz. La coopération ne se pratique pas autour d’une table ou depuis un bureau ; elle se situe toujours dans un rapport à quelque chose à faire.

La création d’équipes pluridisciplinaires régionales dont les membres seraient choisis au plus près des entreprises, nous paraît constituer un outil de travail pragmatique et immédiatement efficace.

Pour travailler ensemble, il faut d’abord édifier des connaissances et des outils communs.

  1. une théorie du travail
  2. des connaissances sur les missions des différents acteurs
  3. des connaissances organisationnelles : les pratiques de management pathogène

Le plus petit dénominateur commun est de s’entendre sur l’importance du travail dans notre société.

Le travail est d’abord une promesse:

  • Promesse de l’utilisation de ses savoir-faire, d’accomplissement de soi par le regard des autres sur notre travail.
  • Promesse d’émancipation sociale par l’autonomie financière, qui permet l’accès à la maturité et le dépassement de la dépendance aux parents.
  • Le travail est aussi promesse de l’apprentissage du vivre ensemble, de la construction de la coopération et de la solidarité. Le monde du travail est l’espace social qui nous oblige à sortir de nous-mêmes, à interagir, partager et nous confronter avec tous les autres.
  • Travailler, c’est se travailler et travailler ensemble.

C’est pour toutes ces raisons que le travail est source de souffrances spécifiques, de destructivité massive, incompréhensible de l’extérieur.

C’est malheureusement au travers du prisme du harcèlement moral que tout commence généralement, car le mot exprime bien le vécu d’un salarié submergé d’objectifs ou dépossédé d’un travail investi, et qui faute d’outils pour penser son travail s’engouffre dans l’insuffisance de la plainte individuelle.

Le chef d’entreprise et la hiérarchie n’entendront que la persécution dans la plainte du salarié et le risque de poursuites pénales et dans le souci de régler ça en interne, trancheront par de mauvais jugements de Salomon sans demander de l’aide aux acteurs dans l’entreprise : le service de santé au travail avec son médecin, son psychologue du travail, son ergonome, le CSE (Comité Social et Économique) et les DS (Délégués syndicaux).

Des connaissances sur les pathologies du travail

L’usage, lorsqu’un salarié décompense, n’est-il pas de renvoyer la causalité de sa décompensation à sa fragilité personnelle, à ses failles intimes ? Et d’identifier un bourreau désigné qu’on mutera, souvent par le haut, vers un autre poste managérial sans interroger le travail?

Le management français semble trouver nécessaire d’entretenir la précarité subjective du salarié (Danièle Linhart) pour qu’il donne le maximum. Repu dans son confort, risquerait-il de s’endormir ? Ah, ce vocabulaire visant à vous faire comprendre que rien n’est à vous : « C’est un bureau partagé que vous occupez ! Pas de photos des enfants, mettez-vous là où il y a de la place, vous mutez demain… »

Les mêmes phrases, toutes régions, tous corps de métier, tous sexes et âges confondus. Difficile de ne pas s’interroger sur ces organisations du travail matricielles qui imposent partout la même brutalité et entraînent les mêmes ravages.

La conviction managériale qu’il faut empêcher le salarié de se stabiliser à son travail car sa précarité subjective (Danièle Linhart) en fera un travailleur plus docile, la défiance permanente de l’encadrement vis-à-vis de la parole de celui qui travaille, le déni de son apport intelligent, des pratiques juridiques agressives sont autant d’obstacles à une résolution raisonnable des différends du travail. La judiciarisation des rapports sociaux dans l’entreprise en est la conséquence ultime.

Les pathologies liées aux nouvelles formes d’organisation du travail, sont spécifiques et désormais essentiellement classifiées comme pathologies de surcharges :

Des connaissances organisationnelles

Paul Bouaziz sur les techniques de management pathogènes

Si l’on peut déplorer la judiciarisation, qui n’est jamais un signe de santé sociale, on peut aussi l’entendre comme le symptôme d’une impossible délibération sur le corps au travail et la considérer comme une occasion de refondation des rapports sociaux dans l’entreprise.

Il faut rester convaincu que la majorité des employeurs et des représentants du personnel va se saisir du travail des magistrats pour mettre à plat la question des organisations du travail pathogènes.

Du côté de l’employeur, il s’agit d’exercer ses prérogatives un pouvoir de direction, un pouvoir d’organisation, un pouvoir disciplinaire.

C’est bien au travers du détournement de ses prérogatives, que l’employeur, mais aussi toute la chaine hiérarchique qui adhère à son management, et le salarié lui-même en tant que rouage consentant de subordination, fabriquent la déstabilisation de tous.

C’est bien grâce à la centralité du travail dans notre construction identitaire que ces modèles organisationnels pervertis peuvent se révéler particulièrement toxiques.

Pallier à l’ignorance des salariés et des managers quant à l’impact des organisations du travail sur la santé physique et mentale est un des fils rouges de ce site.

C’est pourquoi nous avons mis en ligne le Guide du Primo Ecoutant, réalisé par Chantal ECHAVIDRE (DUT gestion RH paris XIII, master 2 management travail et développement social Paris Dauphine, ancienne DS, DP, secrétaire de CHSCT). C’est un remarquable travail qui renvoie au rôle essentiel que le salarié doit jouer. Il est un maillon essentiel de la préservation du vivre-ensemble et de la solidarité au travail.

La loi même le prévoit:

Article L4122-1

« Conformément aux instructions qui lui sont données par l’employeur, dans les conditions prévues au règlement intérieur pour les entreprises tenues d’en élaborer un, il incombe à chaque travailleur de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail….. »

Ce rôle de primo écoutant – ou de relais écoutant – nécessite bien sûr une formation spécifique, un cadrage précis d’intervention. Ce maillage de terrain peut constituer un outil de prévention primaire et secondaire précieux.

En contrepoint, voici un article sur les toxics handlers, ces « porteurs de souffrance » qui, sans formation, du seul fait de leur personnalité, devraient se porter au secours des autres, accroissant ainsi un peu plus leur charge mentale et déchargeant l’entreprise de ses responsabilités quant à la préservation de la santé physique et mentale de tous.

En cas de suicide au travail, voir ce guide pratique des ayants-droit pour aider les familles dans les démarches.

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