La peur de la perte d’emploi, la peur de ne pas tenir sur son poste de travail engendrent des pathologies croissantes : le Karôshi, les séquelles du harcèlement moral érigé en pratique managériale, les passages à l’acte violents, les suicides sur les lieux de travail ne sont plus des phénomènes mineurs pour les cliniciens de terrain.
Le type de décompensation ne dépend pas uniquement du travail mais en dernier ressort de la structure de la personnalité, acquise avant la situation de travail.
Cette décompensation est une rencontre entre une organisation psychique individuelle spécifique et une organisation du travail spécifique. On comprend que l’analyse des situations de souffrance au travail requière des savoirs pointus, croisés et pluridisciplinaires pour faire la part entre facteurs externes et facteurs endogènes :
- La salariée qui se plaint et s’étiole sur son poste de travail, présente-t-elle une pathologie dépressive ou est-elle soumise à un management harcelant et pathogène ?
- Ce manager obsessionnel qui exige de sa secrétaire qu’elle colle les timbres à 2 cm du bord de l’enveloppe, est–il dans l’abus de pouvoir ou le perfectionnisme?
- Cette aide-soignante en pleine bouffée délirante qui parle de respirateurs montés à l’envers dans son service de réanimation est-elle folle ou clairvoyante sur le burn-out de ses collègues ?
- Ce jardinier de cimetière communal exclu violemment de son équipe de collègues est-il un peu schizoïde ou dénonce-t-il le pillage des caveaux par un collectif de travail sans foi ni loi ?
Les pathologies liées aux nouvelles formes d’organisation du travail, sont essentiellement classifiées comme pathologies de surcharges :
- Surcharge du fonctionnement psychologique, mental, cognitif entraînant des tableaux précis comme le burn-out, la dépression, la névrose traumatique, la paranoïa situationnelle.
- Surcharge du fonctionnement pulsionnel entraînant des décharges comportementales comme la violence contre l’autre( agressions contre les collègues ou l’usager) ou contre soi (suicides) ou contre l’outil de travail (sabotages), comme les dérives éthiques (adhésion aux pratiques de harcèlement moral contre les subordonnés).
- Surcharge du fonctionnement organique, entraînant des pathologies physiques précises: troubles musculosquelettiques, karoshi ou mort subite au travail…
Les décompensations psychiques :
L’état de surcharge mentale peut prendre des formes cliniques mineures, comme l’anxiété larvée, la chronicisation du sentiment d’ennui, de lassitude, de repli sur soi ou d’insatisfaction bref le stress. Avec comme corollaire l’augmentation de la consommation de psychotropes légaux ou illégaux.
La surcharge mentale peut déboucher sur des crises psychiques aigues comme les états de stress post-traumatique. Autrefois exceptionnels (hormis dans les milieux bancaires après les hold-up), ils se multiplient dans les situations d’agression contre des personnes dans l’exercice de leur travail. Le tableau de névrose traumatique est également spécifique aux salariés en situation de harcèlement moral.
La surcharge mentale peut déboucher également sur des états de confusion mentale, des bouffée délirantes. L’état de persécution, la paranoïa situationnelle peuvent apparaître et flamber dans un contexte professionnel pathogène.
Sans oublier l’état d’épuisement professionnel ou burn-out (1974, GINSBERG). Ce terme s’appliquait initialement aux professionnels de la relation d’aide, aux soignants.
L’épuisement ou l’usure professionnelle entraînent un syndrome psychologique à trois dimensions : L’épuisement émotionnel (sentiment de fatigue), la dépersonnalisation (insensibilité et réactions impersonnelles vis à vis des usagers) et la réduction de l’accomplissement personnel (faible sentiment de compétence et de reconnaissance de l’effort accompli dans le travail). On peut désormais le généraliser à de nombreuses professions.
Il faut enfin souligner la recrudescence des suicides sur les lieux de travail. Ces suicides dédicacés soulèvent la question du travail dans leur étiologie.
Les décompensations comportementales :
La violence au travail, qu’elle soit physique ou psychologique, se généralise, tous contextes et toutes catégories professionnelles confondus, donnant à penser que le problème n’est pas lié à un environnement précis ou une catégorie professionnelle particulière.
Viols et homicides, coups et blessures, suicide sur les lieux de travail, ne sont plus des faits isolés. La violence n’est pas forcément physique. Les comportements tyranniques, le harcèlement, la persécution d’un subalterne sont fréquents et intégrés au mode de management.
Les décompensations somatiques :
Les nouvelles formes d’organisation du travail, le flux tendu, l’intensification de la vitesse d’exécution, la cadence demandée sur de nombreux métiers, la répétitivité vide de sens du geste exécuté entraînent l’atteinte de secteurs organiques.
- Les troubles musculosquelettiques sont une véritable pandémie dans toutes les sociétés industrialisées et représentent la première maladie professionnelle.
- Le karoshi est l’issue fatale du surmenage, mort subite par accident vasculaire cérébral ou cardiaque chez un sujet jeune. Les études épidémiologiques américaines (Reich P, De Silva RA, Lown B, Murawski BJ, 1981, la mortalité par accident coronarien) indiquent des associations significatives en termes statistiques entre trois facteurs : l’existence d’une instabilité électrique du myocarde, une vie quotidienne vécue comme un fardeau sur fond de dépression ou dans une situation décrite comme sans issue, enfin un événement à charge psychique forte, proche de l’épisode d’arythmie (moins d’une heure dans 21 % des cas).