Abrogation par le Conseil Constitutionnel le 4 Mai 2012 de la loi pénale sur le harcèlement sexuel
– par Maître Claude Katz
Historique
Le délit de harcèlement sexuel a été instauré par la loi du 22 juillet 1992 et codifié par le Code Pénal (article 222-33) dans les termes suivants :
« Le fait de harceler autrui en usant d’ordres, de menaces ou de contraintes dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle, par une personne abusant de l’autorité que lui confèrent ses fonctions, est puni d’un an d’emprisonnement et de 100 000 F d’amende. ».
Le texte a été ultérieurement modifié par la loi du 17 juin 1998, ajoutant aux « ordres », « menaces » ou « contraintes », éléments constitutifs de l’infraction, l’existence de « pressions graves ».
La loi du 17 janvier 2002 a retenu une définition plus expurgée du délit de harcèlement sexuel, se limitant à énoncer que « Le fait de harceler autrui dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle, est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende. ».
Dès lors, le texte ne comportait plus aucune référence sur les moyens par lesquels le harcèlement pouvait être réalisé : « ordres », « menaces », « contraintes » ou « pressions graves ». Cette rédaction consistant à définir le harcèlement comme « le fait de harceler autrui », n’était à l’évidence nullement conforme au principe de légalité des délits et des peines résultant de l’article 8 de la Déclaration des Droits de l’Homme et des Citoyens, et imposant une définition claire et précise de tout délit pénal.
Dénoncé à plusieurs reprises tant par des juristes constitutionnalistes que par l’Association européenne contre les Violences faites aux Femmes au Travail (AVFT), cet article 222-33 du Code Pénal a été déclaré contraire à la Constitution par décision du 4 mai 2012 du Conseil Constitutionnel, entraînant abrogation immédiate de l’article du Code Pénal. L’incurie du législateur est d’autant plus regrettable qu’une proposition de modification du texte sur le délit de harcèlement sexuel lui avait été adressée afin de modification du texte initial, s’inscrivant dans le projet de loi plus général se rapportant aux violences conjugales voté le 9 juillet 2010, mais cette proposition avait été rejetée.
Sort des affaires en cours
L’abrogation de l’article 222-33 du Code Pénal, entraînant extinction des poursuites, a reçu effet immédiat au regard du fait qu’il apparaît difficile de continuer à poursuivre pénalement des personnes sur la base d’un texte législatif déclaré non conforme à la Constitution. Cette abrogation s’applique à toutes les affaires non jugées définitivement au 4 mai 2012.
Ainsi donc, aucune procédure pour harcèlement sexuel actuellement en cours d’enquête après dépôt de plainte au Commissariat de Police ou auprès du Procureur de la République, ne pourra se poursuivre. Il n’est plus possible non plus de citer directement, soit à l’initiative du Procureur de la République, soit à l’initiative de la victime, une personne mise en cause pour des faits de harcèlement sexuel devant une juridiction pénale, en l’espèce le Tribunal Correctionnel. Si une personne prévenue pour des faits de harcèlement sexuel doit comparaître prochainement devant une juridiction, les poursuites sur le fondement du délit de harcèlement sexuel seront déclarées éteintes. Il en est de même d’une procédure en cours devant un Juge d’Instruction. Toutefois, le Juge d’Instruction ou le Tribunal, mais dans cette dernière hypothèse sur citation nouvelle du Procureur de la République, pourra éventuellement requalifier les mêmes faits invoqués par la partie plaignante et dont ils sont saisis, sous d’autres qualifications telles celles relatives aux violences volontaires, à la tentative d’agression sexuelle ou au harcèlement moral si les faits ont eu lieu dans le cadre de relations professionnelles. On précisera que les faits ne devront pas être prescrits, c’est-à-dire non antérieurs à trois ans, mais que cette prescription est interrompue par tout acte de procédure si celle-ci est en cours.
Les victimes de faits de harcèlement sexuel ont également la possibilité d’envisager et de solliciter des dommages et intérêts dans les conditions suivantes :
– Mise en cause de la responsabilité de l’Etat en raison de la non-conformité du texte législatif et réparation du préjudice subi,
– Poursuites devant une juridiction civile telle que le Tribunal de Grande Instance à l’encontre du mis en cause pour faute commise par ce dernier (article 1382 du Code Civil), ou en application de la loi du 27 mai 2008 relative aux discriminations et qui proscrit en son article Un tout agissement à connotation sexuelle subi par une personne ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement hostile, dégradant, humiliant ou offensant.
On rappellera enfin que les dispositions du Code du Travail (article 1153-1 et suivants) relatives au harcèlement sexuel dans le cadre de relations professionnelles, ne sont nullement affectées par la décision du Conseil Constitutionnel du 4 mai 2012 et qu’il est donc toujours possible pour un salarié de poursuivre son employeur et/ou un collègue de travail devant le Conseil de Prud’hommes pour harcèlement sexuel.
Quelles nouvelles dispositions législatives pour une définition des faits de harcèlement sexuel ?
Tout d’abord, il convient de souligner qu’actuellement, les victimes de faits de harcèlement sexuel ne bénéficient plus d’aucune protection législative et ne peuvent donc plus poursuivre l’auteur de faits de harcèlement sexuel. Il est dès lors prioritaire que le futur gouvernement, dès l’élection des membres de l’Assemblée Nationale et l’ouverture de la prochaine session législative, dépose
un projet de loi relatif au délit pénal de harcèlement sexuel et que ce projet de loi puisse être adopté définitivement par l’Assemblée Nationale et le Sénat dans les prochains mois, ce qui nécessitera probablement entre trois et six mois de délai. Cependant, dans cet intervalle, comme rappelé ci-dessus, les faits de harcèlement sexuel peuvent faire l’objet d’une plainte sous une autre qualification.
La nouvelle définition du harcèlement sexuel pourrait s’inspirer, de celle du harcèlement moral jugée conforme à la Constitution par décision du Conseil Constitutionnel en date du 12 janvier 2002 relative à la loi de modernisation sociale, mais aussi de la Directive européenne du 23 septembre 2002 et de celle du 5 juillet 2006. En ce sens, l’AVFT a proposé le texte suivant, lequel peut constituer une base de réflexion :
« Constitue un harcèlement sexuel tout propos, acte ou comportement verbal ou non, à connotation sexuelle d’une personne ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité d’une personne ou de créer un environnement intimidant, hostile, humiliant ou offensant. Le harcèlement sexuel est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende. ».
Le nouveau texte devra en tout état de cause être précis et clair sur la définition du harcèlement sexuel, notamment en son élément matériel, se référant également au harcèlement sexuel de type environnemental, non visé par le précédent texte.
Conclusion
Le seul enseignement positif qui puisse être tiré de la décision d’abrogation du délit de harcèlement sexuel par le Conseil Constitutionnel, porte sur l’élaboration d’une nouvelle définition de ce délit plus précise et plus claire, offrant aux victimes de harcèlement sexuel une protection législative plus efficace, ce qui n’était certainement pas le cas précédemment si on s’en réfère au nombre de condamnations insignifiantes prononcées en la matière (54 an 2009) du fait notamment de la formulation imprécise du délit.