Marie Pezé: «Les violences sexuelles et sexistes sont dans le socle de notre société»

Harcèlement Sexuel

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« La France est un pays très sexiste, où l’histoire du travail s’écrit au masculin. » Mediapart a longuement interviewé la psychanalyste Marie Pezé, experte de la souffrance au travail. Selon elle, « nos femmes en France sont piégées par notre organisation du travail taillée pour les hommes par les hommes ». Décryptage d’un phénomène qui ne s’arrête pas à la sphère politique, loin de là.

Pionnière des consultations hospitalières de souffrance au travail, la psychologue clinicienne et psychanalyste Marie Pezé assiste depuis des années à la flambée des violences sexuelles et sexistes faites aux femmes. « Nos femmes en France sont piégées par notre organisation du travail taillée pour les hommes par les hommes. Certes, il y a le sexisme et les agressions sexuelles. Mais c’est la partie médiatisée. Au-dessus, il y a le viol, en dessous, il y a la discrimination de système à l’œuvre au quotidien. Ces violences sont dans le socle de notre société. Tant que cette infériorisation du destin des femmes ne sera pas attrapée à bras-le-corps, nous ne réglerons rien », alerte cette experte reconnue de la maltraitance dans l’entreprise. Entretien.

Il est très difficile de cerner l’ampleur du phénomène des violences sexuelles et sexistes faites aux femmes au travail. Il n’existe quasiment pas de statistiques car très peu de femmes portent plainte. Et quand elles le font, c’est un véritable chemin de croix. En 2014, une enquête du défenseur des droits réalisée par l’Ifop révélait qu’une femme active sur cinq était confrontée à une situation de harcèlement sexuel au cours de sa vie professionnelle. Mais la seule vraie étude en France sur les violences sexuelles faites aux femmes remonte à 2009 et porte sur la Seine-Saint-Denis où 5 % des femmes salariées déclarent avoir été victimes d’agressions sexuelles ou de viol au travail, toutes catégories socioprofessionnelles confondues. Qu’en est-il dans votre réseau de consultations de souffrance au travail ?

80 % des femmes en situation de souffrance au travail que je reçois ont subi un ou plusieurs des cinq facteurs suivants : une discrimination de système, du harcèlement sexiste ordinaire, du harcèlement sexuel, des agressions sexuelles et certaines des viols.

C’est énorme !

C’est consubstantiel à l’organisation du travail en France. Ce n’est pas que les hommes sont tous tordus ou pervers. C’est notre organisation du travail qui place les femmes en situation de fragilité.

Comment la division sexuelle du travail et nos rapports sociaux entre les sexes sont-ils devenus le terreau des violences sexuelles et sexistes faites aux femmes ?

Notre organisation du travail a été élaborée par des hommes à l’époque où ils avaient la maîtrise du dehors pendant que les femmes étaient dedans, à s’occuper de la sphère domestique. Les métiers ont été édifiés par les hommes, pour des hommes débarrassés de la charge domestique, des enfants, du foyer par les femmes. Nous sommes, par rapport aux autres pays d’Europe, le pays où les femmes travaillent le plus – 80 % des femmes entre 24 et 53 ans sont au travail – sauf que tendanciellement, elles occupent des emplois à temps partiel pour pouvoir continuer à s’occuper des enfants et des emplois peu qualifiés comme ces boulots avec des horaires très décalés, notamment les femmes de ménage qui ont quelques heures le matin, quelques heures le soir et rien la journée. Et dans l’attribution des métiers suivant les sexes, on leur destine les métiers de prise en charge de la saleté, du “care”, du soin, des enfants, des vieillards, des malades, de la mort. Ce sont des métiers où on leur attribue des compétences féminines naturalisées, où la femme de par ses “gènes” saurait s’occuper de la maison, des enfants, des gens qui vont mourir. Car cela serait sa nature. Et comme c’est sa nature, on n’attend pas d’elle des qualifications et on ne la paie pas très cher.

Cette organisation des métiers – où statistiquement les postes de décision et de conception sont répartis chez les hommes et ceux de subordination, d’exécution des tâches les plus déqualifiés chez les femmes – constitue la première grande discrimination de système dans laquelle nous vivons. Sans oublier qu’en France – contrairement aux pays anglo-saxons comme les États-Unis, le Canada, l’Angleterre, où l’on quitte le travail à 17 h 30 –, le travail est encore organisé au masculin neutre. Les hommes doivent prouver leur engagement vis-à-vis de l’entreprise par une présence virile, guerrière, un sur-présentéisme. La femme qui tente de jouer l’équilibre entre vie privée et professionnelle va être pointée du doigt : “on ne vous donne pas ce poste, on ne vous embauche pas parce que vous êtes en âge de faire des enfants et vous allez être absente”, “vous partez à 18 heures, vous prenez votre après-midi ?”. On est dans ce climat.

Les femmes qui sont entrées sur des postes occupés par des hommes autrefois ont vu ces métiers perdre en notabilité, comme en médecine ou dans la magistrature. Chaque fois que les femmes pénètrent en force un champ professionnel, comme par hasard, les hommes quittent ce secteur. Et chaque fois que les femmes entrent dans des champs typiquement masculins – pompiers, armée, gendarmerie, police, BTP, etc. –, quelles épreuves elles doivent endurer ! Pour être acceptées, elles doivent neutraliser leur féminité. On se souvient tous de Michèle Alliot-Marie, ministre des armées, toujours en tailleur pantalon, avec un minimum de maquillage. On ne peut être coquette et féminine. Toutes les femmes cadres qui entrent sur des postes de direction passent à la moulinette d’une féminité de surface de bon aloi. Car dès qu’elles grimpent, elles prennent le risque d’être accusées : “t’as eu ta promo, car t’as baisé avec le chef ?” Toute la société met à l’œuvre une communauté de collusion, de complaisance envers les pulsions de ces messieurs qui seraient incontrôlables ; c’est aux femmes de se tenir. Jusqu’à se cacher complètement dans certains pays car elles portent le sexuel ; elles devraient donc couvrir le sexe, pour ne pas attiser les hommes.

C’est donc notre société tout entière qui fait le lit de ces violences ?

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