Le harcèlement, un tabou à rompre dans le BTP

Harcèlement Sexuel, Stress Travail et Santé

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À en croire un premier baromètre d’Ipsos pour le cabinet Qualisocial, 76 % des salariés du BTP considèrent que les situations de harcèlement sont fréquentes dans leur cadre professionnel. Mais sous quelles formes ? Quelles sont les racines et solutions face à ce facteur aggravant pour la santé mentale des professionnels ? Réponses avec Camy Puech, président de Qualisocial.

Si les risques physiques sont un grand sujet dans le BTP, les risques psychosociaux sont à surveiller de près. En témoigne la vague de suicides observée au sein du constructeur Eiffage, en 2017. 

Et la situation préoccupe Qualisocial, spécialiste dans la prévention des risques psychosociaux et l’amélioration de la qualité de vie au travail. « C’est un secteur où les sujets de la santé physique sont très présents, et les questions de santé mentale passent souvent au second plan », commente son président-fondateur, Camy Puech, à partir d’un premier baromètre, consacré plus spécifiquement au harcèlement dans les entreprises, tous secteurs confondus. 

À l’échelle du BTP, 41 % des salariés déclarent avoir été témoins de harcèlement au travail, tandis que 28% des salariés considèrent avoir déjà été victimes de harcèlement. 76 % estiment que les situations de harcèlement sont fréquentes dans le cadre professionnel.

Les femmes plus exposées au sexisme

Malgré une féminisation progressive du secteur, les femmes dans le BTP sont 54 % à se déclarer victimes de harcèlement, contre 48 % parmi tous les secteurs confondus. « Il y a une surexposition au sexisme pour la population féminine », confirme Camy Puech.

Et le sexisme va prendre plusieurs formes, dont les discriminations liées au genre, c’est-à-dire « tous les comportements et agissements à connotations sexuelles (blagues graveleuses…) », nous précise le président de Qualisocial. L’intéressé relève également le fait d’assigner les employées aux tâches ménagères et à l’éducation des enfants, « donc on va aménager le travail pour que les femmes puissent s’occuper des enfants en dehors du travail. Même si c’est bienveillant, c’est sexiste ». Mais là où le sexisme est réel, c’est sur les postes à responsabilité, « où les femmes sont discriminées par rapport aux capacités des hommes ».

« Les managers tombent des nus. Ils ne comprennent pas qu’une blague sexiste soit proscrite »

Des situations qu’on peut retrouver dans moult milieux professionnels. Mais la spécificité du BTP, c’est que « le sexisme se fait devant témoin » et « que le sexisme est légitime dans le BTP par rapport aux autres », nous souligne Camy Puech. « Les managers tombent des nus. Ils ne comprennent pas qu’une blague sexiste soit proscrite », poursuit-il.

Pourtant, depuis la loi du 2 août 2021 consacrée à la santé au travail et appliquée le 31 mars 2022, « deux comportements à connotation sexiste, qui créent un environnement hostile, délétère, dégradant pour un tiers, en l’occurence une femme pour notre cas de figure, ça s’appelle du harcèlement sexuel », rappelle le président de Qualisocial. 

Et le harcèlement sexuel est condamnable, compte tenu du Code du Travail et de la jurisprudence. La loi tient l’employeur comme responsable de la santé et de la sécurité de ses employés. Ce dernier a donc obligation d’évaluer, de sensibiliser et de traiter toute situation de harcèlement, quitte à licencier le collaborateur qui a commis un harcèlement avéré. D’autant que la part des salariés se considérant victimes de harcèlement sexuel au travail est trois fois plus forte au sein des grands groupes du BTP (20 %), par rapport à l’ensemble des secteurs (7 %). 

Les fonctions supports particulièrement dénigrées dans le BTP

Le harcèlement moral est aussi prégnant dans le BTP. Dans la plupart des comportements recensés par Qualisocial, « on va trouver le dénigrement », notamment par « rapport à la charge de travail, la capacité d’exécuter le travail », nous décrypte Camy Puech. 

Le président du cabinet de prévention note également un rapport entre deux clans : les professionnels du BTP du terrain (maître d’ouvrage, conducteurs de chantier, ouvriers,) et les fonctions supports (communication, marketing, comptabilité, RH, tech, gestion du parc de machines). « Il y a ceux qui créent de la valeur, ou ceux qui coûtent de la valeur. Tous ceux qui représentent des fonctions supports ont une place moins importante dans le paysage, la décision, la stratégie, etc. », nous projette le président de Qualisocial.

Si le statu-quo se retrouve dans toute taille d’entreprise, il est « encore plus vrai dans les structures de moins de 50 salariés », où les rapports sont plus directs que dans les majors du BTP.

La faible numérisation dans le BTP favorise le cyberharcèlement  

Autre phénomène à analyser : le cyberharcèlement, qui, selon Qualisocial, est six fois plus signalé dans le BTP (25 %) que sur l’ensemble des secteurs (4 %).

Curieux constat quand on sait que la digitalisation du bâtiment et des travaux publics est à la traine. Mais comme le relève Camy Puech : « Tout le monde a un smartphone et tout le monde a besoin de communiquer ». Les canaux digitaux sont d’ailleurs nombreux : SMS, visioconférences, emails, mais surtout WhatsApp. « WhatsApp a énormément explosé dans le BTP. Et là il n’y a plus de limite, tant dans la forme des messages, que dans les horaires d’envois de messages », abonde le président de Qualisocial. 

Bien que « toutes les entreprises ont appris à utiliser des mails, et sont passées à des canaux de messagerie instantanés », ce n’est pas forcément le cas dans le BTP, « où les gens utilisent WhatsApp avec leurs collègues, comme ils utilisent avec leurs familles », poursuit l’intéressé. Compte tenu de leur plus faible maîtrise du digital au travail, les professionnels du BTP auront tendance à « créent leur propres outils, sans aucune réflexion sur l’outil, son impact, etc. ».

Les hauts supérieurs hiérarchiques, principaux auteurs de harcèlement dans le BTP

« La place du leader est important. C’est pour ça que le responsable du harcèlement est beaucoup plus le N+2. Et le N+2, c’est le grand patron »

Les victimes de harcèlement sont deux fois plus à être isolées dans le BTP (40 %), qu’en général (21 %). Le ratio est le même dans les situations où l’auteur de harcèlement plus soutenu (35 %) que sur l’ensemble des milieux professionnels (16 %). Peut-être parce que les hauts responsables hiérarchiques sont les premiers auteurs de harcèlement dans le secteur du BTP, particulièrement dans les grands groupes (31 %). Et ce alors qu’ils sont en troisième position dans tous les secteurs confondus, où l’auteur est souvent le supérieur direct. 

Mais même dans une entreprise de moins de 50 salariés, « la place du leader est important. C’est pour ça que le responsable du harcèlement est beaucoup plus le N+2. Et le N+2, c’est le grand patron », analyse Camy Puech. De quoi renforcer l’omerta au sein des salariés du BTP, tant par les témoins que les victimes, sûrement par peur d’exclusion ou de représailles. 

D’autant que les dirigeants d’entreprises « ont une puissance d’expertise, d’éxécution, de vente. Ce sont souvent des super personnes, des Superman. Et s’ils arrêtent d’être en tension, leur entreprise s’effondre », nous dépeint toutefois le président de Qualisocial.  

Lire la suite sur le site Batiweb, « La pression de la rentabilité, un terreau au harcèlement ?« 

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