Directeurs et directrices d'hôpital. Mieux connaître ces hommes et femmes au service de la santé

09 janvier 2017 | Stress Travail et Santé

Durcir au lieu de transformer

Florent Pennuen a été consultant, spécialiste des questions dialogue social et de conditions de travail. Pendant 15 ans, il a aidé des manageurs et des organisations à mieux comprendre et gérer la transformation des organisations publiques. A ce titre, il est souvent intervenu auprès de directeurs d’hôpital. Il nous livre un regard sans concession sur le contexte hospitalier dans lequel le directeur d’hôpital tente d’exister.
Pouvez-vous nous décrire la nature des relations que vous aviez dans votre ancien métier de consultant avec des DH ?
J’intervenais en général lorsqu’une situation était bloquée, que des équipes ne parvenaient plus à travailler et avancer ensemble. Parfois, le collectif a besoin d’un tiers extérieur pour reprendre son mouvement.

Réaliser un marathon dans le temps d’un 100 mètres

Ce sont généralement des directeurs d’hôpital qui font alors appel aux consultants. Mais parfois, il y a une commande politique qui complique grandement les choses. C’est typiquement le cas des consultants envoyés par l’ANAP entre 2007 et 2012. Le client du consultant n’est plus l’hôpital lui-même mais un tiers, le financeur, ce qui modifie (pervertit) le rapport entre le directeur et celui payé à venir l’aider. Un autre jeu d’acteurs, donc, mais qui me fait bien connaître les directeurs.
Beaucoup critiquent d’ailleurs le recours aux consultants : inadaptés, inutiles, trop chers. J’aurais tendance à proposer une lecture un peu différente, en regardant le recours massif ces dernières années aux consultants – bien souvent déclenchés par des autorités extérieures – comme un effet collatéral d’une accélération vertigineuse de l’environnement de la sphère publique. Le temps de la transformation s’y est excessivement resserré sous l’effet de plusieurs réformes majeures (RGPP, T2A…), dont n’ont été mesurées ni la portée ni la limite et dont personne n’a conçu le « débrayage ».

Les échéances fixées consistent désormais bien souvent à réaliser un marathon dans le temps d’un 100 mètres.

A l’hôpital, il s’agit de faire comme s’il était possible de balayer d’un revers de main des systèmes organisationnels patiemment construits, systèmes qui, bien qu’effectivement sclérosés, étaient acceptés par le quatuor d’acteurs (la direction générale, les médecins, les organisations syndicales, le pouvoir politique) au mépris parfois de quelques règles de bases tant de management que de gestion publique.

Faire fi du pacte social et d’organisations du travail addictives

Tant de compromis sociaux, de règles écrites et non écrites, avaient été définis en privilégiant les intérêts de quelques acteurs bien plus que du système, le tout fallacieusement présenté comme défendant l’intérêt général dont le sens même s’était éloigné depuis bien longtemps.
Je pense à ce grand hôpital public où le fonctionnement des blocs opératoires associait une sous-utilisation massive des équipements en même temps qu’une organisation du temps et du travail (para et médical) mixant paiement majoré d’heures supplémentaires et absences pour récupération.
Sans dédouaner les acteurs de leurs responsabilités de ces situations explosives, elles ne sont pas le propre du secteur hospitalier puisqu’elles prennent racine dans les jeux d’acteurs présents dans toute organisation.
Les organisations publiques territoriales connaissent elles-aussi ce type de compromis bien délicat à dénouer, avec par exemple le principe du « fini-parti » dans le milieu de la collecte des déchets : chaque équipe d’éboueurs a en charge un quartier et peut quitter le travail quand le quartier est terminé, même trop vite (et mal) fait. Chacun s’est arrangé pendant des décennies d’une telle organisation, où des hommes travaillent 20h payées 35 et déclenchent des heures supplémentaires à compter de la 21e heure. Un compromis qui permet aux politiques de gérer la paix sociale, au directeur général des services de présenter un fonctionnement prétendument moderne, centré sur les résultats, aux organisations syndicales d’être fortes auprès de leurs troupes et aux agents d’obtenir une réparation substantielle en raison de conditions de travail dures.
Durant des décennies de telles situations proposées par les décideurs (politiques et DRH) et acceptées par le corps social (agents et organisations syndicales) ont perduré. Voire résistent encore tant le corps social dans son ensemble s’est imprégné d’attitudes addictives complexes à transformer. Car sortir de la caverne fait mal et induit de détricoter tout un système relationnel.

Durcir et standardiser plutôt que transformer

Et là sous l’effet de démarches successives de « plans de retours à l’équilibre » et de « contrats de performance », il faudrait, en urgence absolue, infléchir radicalement la manière dont le pacte social et le système organisationnel ont été construits à l’Hôpital, sans prendre le temps de déconstruire et comprendre ce qui a été fait avec le temps.
Comme c’est évidemment impossible, illusoire même, les décideurs ont progressivement introduit des cohortes de consultants bardés d’outils, grilles d’analyse, ratios comparatifs, dans la croyance que le salut ne pouvait venir que d’une standardisation, faisant fi de la connaissance des acteurs et de leurs propres capacités à transformer l’organisation. Comme si tout d’un coup nous avions oublié que la clé d’une transformation n’est pas dans le durcissement des conditions et leur tension vers des ratios omnipotents que de prendre langue avec les acteurs pour poser un autre cadre propice à l’acceptabilité et la faisabilité de ces transformations, dans un cadre temporel respectueux des enjeux financiers mais aussi du couple « soignants/malades ».

Lire la suite sur le blog directeurdhopital.com

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