Les débats sur les nouvelles formes d’emploi sont marqués par la nostalgie d’un passé imaginaire – l’âge d’or du CDI – et la fascination pour un avenir fantasmagorique – la fin du salariat.
Or, l’âge d’or du CDI n’a jamais existé. La construction législative et jurisprudentielle du CDI comme emploi protégé et stable ne date que des crises des années 1970. Au même moment, le législateur reconnaissait l’intérim et le CDD, leur assurant ainsi une progression fulgurante.
En fait, depuis le début des années 2000, la répartition des grandes composantes de l’emploi – en CDI, temporaires, indépendant – est stable. En France, comme ailleurs, le CDI demeure la forme ultradominante d’emploi, autour de 87 % de l’emploi salarié. L’explosion du CDD et de l’intérim est derrière nous. Et nous n’assistons pas non plus à une explosion du travail indépendant : il s’est stabilisé autour de 10 % de l’emploi total, avec un regain récent tiré par l’autoentrepreneuriat.
C’est vrai, on assiste à une diversification des formes juridiques d’emploi aux confins du salariat et du travail indépendant, avec le portage salarial, les coopératives d’activité et d’emploi, ou lorsqu’un indépendant exerce son activité dans un cadre contraint (la franchise, l’agent commercial mandataire indépendant, le gérant non-salarié de succursales de commerce de détail). Mais ces formes d’emploi, récentes ou plus anciennes, sont ultraminoritaires.
Le CDI déjà minoritaire
Alors, rien n’aurait changé ? Si, bien sûr. C’est même à un véritable bouleversement auquel nous assistons, avec une grande vague de flexibilisation et d’individualisation, qui touchent toutes les conditions d’emploi.
A tout seigneur, tout honneur, le premier concerné est le CDI : le fameux « CDI à temps plein avec des horaires stables et chez un seul employeur » est déjà minoritaire, avec la progression du temps partiel, qui concerne un peu plus de 4 millions de salariés, et des horaires décalés et variables. Près d’un tiers des salariés travaillent habituellement ou occasionnellement le dimanche, contre un sur cinq il y a vingt ans. La part des horaires à la carte a aussi quasiment doublé et dépasse les 10 %. L’unité de lieu du travail est également remise en question avec l’essor du télétravail, qui concerne près de 17 % des actifs.
La flexibilisation progresse aussi de façon fulgurante au sein des CDD : les contrats temporaires les plus courts explosent. Les flux d’emploi de moins de trois mois en CDD ou intérim représentent neuf embauches sur dix. L’explosion est encore plus forte pour les contrats de moins d’un mois.
L’emploi indépendant s’individualise également de plus en plus : c’est, en son sein, l’emploi indépendant sans aucun salarié qui progresse avec notamment 1 million d’autoentrepreneurs.
Individualisation de l’activité
Mais le phénomène le plus marquant de ces dernières années est l’individualisation de l’activité elle-même, avec l’explosion de la pluriactivité – avoir plusieurs emplois salariés, ou un emploi salarié et un autre indépendant. Elle concerne aujourd’hui plus de 2,3 millions d’actifs, contre 1 million il y a dix ans. Un tiers des autoentrepreneurs le sont en complément d’un emploi salarié.
A l’origine de ces évolutions, il y a des facteurs économiques : la crise, la financiarisation et la mondialisation de l’économie, qui conduisent les entreprises à réduire leurs coûts ; l’essor du secteur tertiaire ; l’installation d’un chômage de masse, qui réduit les capacités de négociation des actifs.
Mais des facteurs sociologiques sont aussi à l’œuvre, avec des aspirations croissantes à davantage d’autonomie dans le travail, et de liberté dans la gestion de son temps. Enfin, l’essor des nouvelles technologies donne un formidable élan à toutes les formes d’activité dans lesquelles le travail ne s’exerce pas dans l’entreprise qui embauche.
C’est le cas des sites de « jobbing » entre particuliers, des plates-formes de services entre professionnels, des sites de free-lance, où un nombre important de personnes, rémunérées ou non, contribuent à la réalisation d’un projet divisé en microtâches.
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