Arrêt SNECMA, 2008

Mise à jour le 25 juillet 2022

Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 5 mars 2008, 06-45.888, Publié au bulletin


  • N° de pourvoi : 06-45.888
  • Publié au bulletin
  • Solution : Rejet

Audience publique du mercredi 05 mars 2008

Décision attaquée : Cour d’appel de Versailles, du 14 septembre 2006


Président: Mme Collomp

Avocat général: M. Cavarroc

Rapporteur: M. Bailly

Avocat(s): SCP Gatineau, SCP Masse-Dessen et Thouvenin


RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Versailles, 14 septembre 2006), que la société SNECMA moteurs, aux droits de laquelle vient la société SNECMA, exploite à Gennevilliers un établissement comportant des unités assurant la fabrication de pièces de moteurs d’avions, ainsi qu’un « centre énergie », classé « Seveso », chargé de produire et de distribuer en permanence l’énergie et les fluides nécessaires à cette activité ; qu’envisageant de mettre en place dans le centre énergie une nouvelle organisation du travail de maintenance et de surveillance effectué par équipes et sans interruption, la société Snecma moteurs a informé et consulté le comité d’hygiène et de sécurité des conditions de travail, qui a décidé de désigner un expert puis a émis le 28 juin 2004 un avis négatif, ainsi que le comité d’établissement, qui a également exprimé le 18 novembre 2004 son opposition à ce projet ; que par note de service du 22 février 2005, l’employeur a informé le personnel de l’application, à partir du 14 mars suivant, de la nouvelle organisation du travail dans le centre énergie, suivant des modalités précisées dans une note du 21 février ; que le syndicat CGT Snecma Gennevilliers a saisi le tribunal de grande instance, pour que la note du 21 février 2005 soit annulée et pour qu’il soit fait défense à l’employeur de mettre en application les dispositions qu’elle prévoyait ;

Sur le moyen unique, pris en ses douze premières branches :

Attendu que la société Snecma fait grief à l’arrêt d’avoir constaté la nullité de la note interne du 21 février 2005 et ordonné la suspension de la réorganisation mise en place, en la condamnant au paiement d’une indemnité, alors, selon le moyen :

  1. que sauf disposition légale contraire, l’employeur décide seul de l’organisation du travail dans le cadre de son pouvoir de direction ; que le juge saisi à titre préventif ne peut s’ingérer dans l’exercice de ce pouvoir, sauf lorsque l’organisation adoptée enfreint une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement ; qu’en annulant la note du 21 février 2005 au prétexte que les modalités d’organisation du travail au sein de la centrale qu’elle prévoyait comportaient globalement une aggravation des contraintes imposées aux salariés concernés de nature à compromettre leur santé et leur sécurité sur le site, en contravention avec les dispositions de l’article L. 230-2 du code du travail et celles plus générales de l’article L. 120-2 du même code, sans constater qu’elle méconnaissait une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, la cour d’appel a violé les textes précités, ensemble le principe fondamental de la liberté d’entreprendre ;
  2. que le juge ne peut remettre en cause la nouvelle organisation du travail décidée par l’employeur que si elle est de nature à menacer la santé et/ou la sécurité des salariés ; que cette appréciation doit être effectuée en prenant en compte tous les points positifs et négatifs de la nouvelle organisation ; qu’en l’espèce, l’exposante soulignait que dans la nouvelle organisation, les salariés bénéficieraient de 38 jours de repos sur le cycle de 10 semaines soit 70 jours (au lieu de 21 jours de repos sur un cycle de 6 semaines soit 42 jours) et que la durée annuelle du travail allait être abaissée de 1 556 h à 1 320 h (soit une durée moyenne hebdomadaire sur le cycle passant de 33 à 28 h), ce sans réduction de salaire (conclusions d’appel, p. 14) ; qu’en s’abstenant de prendre en compte ces éléments pourtant déterminants, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 230-2 et L. 120-2 du code du travail ;
  3. que les juges du fond ne peuvent dénaturer les documents soumis à leur examen ; qu’en affirmant que « le cabinet Eretra précise que le gain que peut constituer la diminution du nombre de jours postés, 5 au lieu de 7, ne peut compenser l’impact négatif de l’augmentation du nombre de nuits et de week-end travaillés », quand ce cabinet n’avait nullement évalué et mis en balance l’impact de chacun de ces éléments, se contentant de décrire les changements opérés par la nouvelle organisation, la cour d’appel a dénaturé le rapport précité et violé l’article 1134 du code civil ;
  4. que le juge ne peut remettre en cause la nouvelle organisation du travail décidée par l’employeur, serait-elle plus contraignante pour les salariés, que si elle est de nature à menacer la santé et/ou la sécurité de ces derniers ; qu’en l’espèce, le bureau Véritas concluait que le nombre de nuits travaillées, même s’il était en augmentation dans la nouvelle organisation, était acceptable dès lors qu’il demeurait dans la limite du taux de 19 à 20 % de nuits travaillées, au demeurant couramment pratiqué chez les professionnels ; qu’en se bornant à énoncer que le cabinet Eretra avait relevé l’impact négatif de l’augmentation du nombre de nuits travaillées, sans rechercher si ce nombre ne demeurait cependant pas acceptable et sans danger pour la santé ou la sécurité des travailleurs, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 230-2 et L. 120-2 du code du travail ;
  5. que le juge ne peut remettre en cause la nouvelle organisation du travail décidée par l’employeur, serait-elle plus contraignante pour les salariés, que si elle est de nature à menacer la santé et/ou la sécurité de ces derniers ; qu’en l’espèce, concernant l’augmentation du nombre de week-ends travaillés sur un cycle, passant de 3 week-ends travaillés sur 6 à 6 week-ends travaillés sur 10, ce qui restait au demeurant très proche de la moyenne constatée au sein des autres sociétés (5 week-ends travaillés sur 10), le bureau Véritas ne faisait état que d’un impact sur l’insertion sociale des salariés ; qu’en retenant que cette augmentation avait un impact négatif et que le cabinet Véritas avait lui-même émis des réserves à cet égard, sans expliquer en quoi le passage de 3 week-ends travaillés sur 6 à 6 week-ends travaillés sur 10 pouvait avoir une incidence sur la santé et/ou la sécurité des salariés, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 230-2 et L. 120-2 du code du travail ;
  6. qu’elle faisait valoir que contrairement à ce qu’indiquaient le rapport Eretra et le syndicat CGT, en aucune façon les salariés en congés durant les jours d’absences prévisionnelles ne seraient contraints de venir travailler et qu’il ne s’agissait donc pas d’un système d’astreinte déguisée (conclusions d’appel, p.15) ; qu’en retenant à l’appui de sa décision que le cabinet Eretra avait relevé « que l’octroi bénéfique de 14 jours de repos consécutifs, conforme aux demandes des salariés, peut être compromis par la mise en place d’un système d’absences prévisionnelles », sans s’expliquer sur la contestation élevée sur ce point par l’employeur, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 230-2 et L. 120-2 du code du travail ;
  7. que les juges du fond ne peuvent modifier les termes du litige tels qu’ils résultent des conclusions des parties ; qu’en l’espèce, l’employeur indiquait que les salariés du groupe technique réseaux étaient joignables par téléphone à tout moment de 6 h 15 à 22 h pour assistance ou conseil auprès des équipes postées de la centrale énergie (conclusions d’appel, p.9), et le syndicat CGT ne contestait pas ce point ; qu’en retenant à l’appui de sa décision que « le matin et le soir, le salarié ne dispose plus de l’assistance du centre technique réseaux, et que rien ne prouve que les agents de ce centre acceptent une astreinte téléphonique en dehors des heures de présence, laquelle n’est pas ni prévue ni organisée dans la note », la cour d’appel a modifié l’objet du litige et violé l’article 4 du code de procédure civile ;
  8. que le juge ne peut remettre en cause la nouvelle organisation du travail décidée par l’employeur, serait-elle plus contraignante pour les salariés, que si elle est de nature à menacer la santé et/ou la sécurité de ces derniers ; qu’en l’espèce, le cabinet Véritas, après avoir relevé dans la nouvelle organisation une « aggravation » du risque lié au travail isolé, concluait cependant que, compte tenu des dispositifs mis en place pour y remédier, « l’organisation projetée ne génère pas de nouveaux risques professionnels qu’ils soient liés à la nature des tâches effectuées ou à la charge de travail », ajoutant que « la comparaison avec l’exploitation de centrales similaires montre que les pratiques sont conformes à ce qui se constate par ailleurs en termes de cycles de travail et d’effectifs » ; que de même le docteur X…, médecin du travail, avait conclu que le nouveau rythme était « convenable dans l’ensemble » ; qu’en retenant à l’appui de sa décision que « le cabinet Véritas (..) dénonce le risque lié au travail isolé accentué notamment durant les périodes de début d’équipe de jour et de fin d’équipe d’après-midi, en période estivale et durant des interventions spécifiques de jour, ajoutant seulement que la redondance des alarmes chez le PC pompier et la mise en place d’un équipement « homme mort » tempèrent cette aggravation », sans s’expliquer sur la conclusion finale du rapport du cabinet Véritas confirmée par celle du docteur X…, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 230-2 et L. 120-2 du code du travail ;
  9. que les juges du fond ne peuvent dénaturer les documents soumis à leur examen ; qu’en l’espèce, le docteur Y… se bornait à indiquer que « la meilleure période de récupération nocturne est entre 2 et 5 h du matin et il est important de la préserver au maximum » ; qu’en affirmant qu’il mentionnait « la nécessité d’un sommeil au moins au delà de 5 heures du matin pour être bénéfique », la cour d’appel a dénaturé cet avis et violé l’article 1134 du code civil ;
  10. que les juges du fond ont constaté que le rythme d’été plus contraignant existait déjà dans l’organisation en vigueur durant les week-ends de juillet et août (jugement, p.5) ; que l’employeur (conclusions d’appel, p.16) soulignait que dans la nouvelle organisation, il était circonscrit à un seul mois d’été par salarié ; qu’en se fondant, pour annuler la note du 21 février 2005 définissant la nouvelle organisation du travail du personnel de la centrale énergie, sur l’existence d’un « rythme d’été plus contraignant », sans caractériser en quoi, au regard de ses constatations et des conclusions de l’employeur, l’organisation projetée entraînait une aggravation par rapport à l’organisation en vigueur, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 230-2 et L. 120-2 du code du travail ;
  11. qu’il était constant que dans le cadre de l’organisation en vigueur, les salariés travaillaient généralement par équipes de 2 ; qu’en se fondant sur l’absence de définition des missions et de la répartition des responsabilités des deux opérateurs de nuit et de week-end, en particulier pour les rondes de nuit, sans expliquer en quoi ces éléments n’étaient pas déjà connus des salariés qui avaient l’habitude de travailler à deux, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 230-2 et L. 120-2 du code du travail ;
  12. que le juge ne peut remettre en cause la nouvelle organisation du travail décidée par l’employeur que si elle est de nature à menacer la santé et/ou la sécurité de ces derniers ; qu’en retenant que la prise en compte de l’articulation du recours à une délégation des niveaux 2 à 4 de la maintenance à des prestataires extérieurs et de l’équipe appartenant à la Centrale était un élément important pour que ces derniers se sentent reconnus dans leurs compétences, que le rapport Eretra mettait en lumière les enjeux humains de la réorganisation, et que certaines recommandations du cabinet Véritas allaient « dans le même sens, qui est celui d’une acceptation de la réorganisation qui sera proposée, et de la nécessité d’une reconnaissance de la compétence des salariés de la Centrale en place », la cour d’appel a statué par des motifs inopérants et privé sa décision de base légale au regard des articles L. 230-2 et L. 120-2 du code du travail ;

Mais attendu que l’employeur est tenu, à l’égard de son personnel, d’une obligation de sécurité de résultat qui lui impose de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs ; qu’il lui est interdit, dans l’exercice de son pouvoir de direction, de prendre des mesures qui auraient pour objet ou pour effet de compromettre la santé et la sécurité des salariés ;

Et attendu que, dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation des éléments de preuve qui lui étaient soumis et sans dénaturation, la cour d’appel a constaté que la nouvelle organisation mise en place par l’employeur en février 2005 réduisait le nombre des salariés assurant le service de jour et entraînait l’isolement du technicien chargé d’assurer seul la surveillance et la maintenance de jour, en début de service et en fin de journée, ainsi que pendant la période estivale et à l’occasion des interventions, cet isolement augmentant les risques liés au travail dans la centrale, et que le dispositif d’assistance mis en place était insuffisant pour garantir la sécurité des salariés ; qu’elle a pu en déduire, sans modifier l’objet du litige et abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les sixième, neuvième et douzième branches du moyen, que cette organisation était de nature à compromettre la santé et la sécurité des travailleurs concernés et que sa mise en oeuvre devait en conséquence être suspendue ;

Que le moyen n’est pas fondé ;

Et sur la treizième branche du moyen :

Attendu que la société Snecma fait encore grief à l’arrêt d’avoir, par confirmation du jugement, renvoyé les parties à définir les modalités de la réorganisation décidée dans le cadre du dialogue social, alors selon le moyen, que sauf disposition légale contraire, l’employeur peut définir seul les modalités d’organisation du travail dans l’entreprise ; qu’à supposer qu’elle ait confirmé le jugement en ce qu’il avait renvoyé les parties à définir les modalités de la réorganisation décidée dans le cadre du dialogue social, et ordonné la suspension de cette réorganisation jusqu’à ce que ce dialogue ait abouti, la cour d’appel a violé les articles L. 230-2 et L. 120-2 du code du travail, ensemble le principe fondamental de la liberté d’entreprendre ;

Mais attendu qu’il ne résulte pas du dispositif du jugement confirmé que le tribunal, qui n’en avait pas le pouvoir, ait imposé à l’employeur de négocier les modalités d’organisation du travail dans le centre énergie, ni qu’il ait subordonné l’exercice de son pouvoir de direction à l’accord des institutions représentatives du personnel ; que le moyen manque en fait ;

PAR CES MOTIFS :

  • REJETTE le pourvoi ;
  • Condamne la société Snecma aux dépens ;
  • Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne la société Snecma à payer au syndicat CGT Snecma Gennevilliers la somme de 2 500 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du cinq mars deux mille huit.


L’obligation de sécurité de résultat à laquelle est tenu l’employeur lui impose d’adopter les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs et lui interdit en conséquence de prendre, dans l’exercice de son pouvoir de direction et dans l’organisation du travail, des mesures qui auraient pour objet ou pour effet de compromettre la santé et la sécurité des salariés

Précédents jurisprudentiels: Sur l’obligation de sécurité de résultat à la charge de l’employeur en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l’entreprise, dans le même sens que : Soc., 28 février 2002, pourvois n° 00-10.051, 99-17.201, 99-17.221 et 99-21.255, Bull. 2002, V, n° 81 (rejet) ;Soc., 29 juin 2005, pourvoi n° 03-44.412, Bull. 2005, V, n° 219 (rejet) ;Soc., 28 février 2006, pourvoi n° 05-41.555, Bull. 2006, V, n° 87 (cassation) ;Soc., 19 décembre 2007, pourvoi n° 06-43.918, Bull. 2007, V, n° 216 (rejet), et les arrêts cités

 

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