Je reçois Mr D à sa demande. Il a lu un article sur la consultation. Il n’est pas malade, seulement en colère et dans l’impasse. Il travaille dans une entreprise de mécanique générale depuis sa création. Un des actionnaires est parti à la retraite et a vendu ses parts à l’actionnaire dominant. Sans plus attendre, ce dernier a nommé son fils directeur de production en remplacement de Mr D, redevenu simple chef d’équipe.
Le jeune directeur opère d’emblée de profondes transformations dans l’organisation du travail. Là où le travail reposait sur l’autonomie et la mise en commun des savoir-faire, il s’agit de contrôler tout et tout le monde.
J’écoute Mr D raconter le travail. Les techniques managériales pathogènes utilisées pour « tenir » l’équipe sont « visibles » grâce au récit de cet homme. Personne ne tient mieux la question du travail que celui qui travaille. Le jeune directeur parle avec rudesse, critique et disqualifie systématiquement le travail, en public bien sûr. L’injure publique sert à asseoir une autorité trop juvénile. Mr D est appelé « le senior», « vieux rossignol » plusieurs fois par jour.
Il surveille les communications personnelles en restant debout, à côté du salarié. Les pauses-café sont interdites avant 9 heures 15. Il reprogramme le distributeur pour qu’il démarre à 9 heures, pas avant ! Pour parachever l’ambiance militaire, il met en place un bruit de Klaxon qui sonne à l’arrivée, 7 heures 17, à la pause de 9 heures 15, à la fin de la pause, 9 heures 30, au repas de 12 heures 15, à 13 heures 30, à 17 heures ! Il fait installer une minuterie si brève aux toilettes que chacun finit par se débrouiller dans l’obscurité. Il en fait visser hermétiquement les fenêtres (certains salariés auraient-ils tenté de s’enfuir ?)…
Il veut des économies gestionnaires sur les stocks de fourniture et distribue une « ration » de savon et d’essuie-tout dont le temps d’usure est déterminé par lui. Les salariés se retrouvent sans gel de nettoyage pendant des semaines. Les outils cassés et jetés doivent être sortis des poubelles pour vérification avant d’être échangé contre des outils neufs.
Ce management basé sur la méfiance, le contrôle, l’humiliation, n’a pu se mettre en place que sur la base de leviers de domination institutionnels. Si le directeur peut abuser de son pouvoir de direction, d’organisation et disciplinaire c’est qu’il est le fils du propriétaire. Ce besoin d’exercer une emprise sur les corps en minutant les déplacements, les productions physiologiques, fait de cet homme un tyran avec lequel toute relation devient un rapport de force.
Mr D signale que l’équipe de travail, très soudée, tient grâce à la qualité du travail effectué et au soutien des clients. Mais plus pour très longtemps.
Une équipe de travail soudé + un certificat décrivant l’organisation du travail abusive = une pétition signée par toute l’équipe et remise au directeur. Le management harcelant était aisément repérable. Montrer son ineptie et sa contre productivité de façon collective et déterminée a abouti au départ du jeune « chef ».