Suicides d'internes en médecine : "Leur détresse est liée à leurs conditions de travail"

Suicide Au Travail

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Depuis le début de l’année 2021, cinq étudiants en internat de médecine ont mis fin à leur jour. Les syndicats interpellent le ministère de la Santé sur la situation déplorable de leurs conditions de travail.

Un suicide tous les 18 jours. Avec un décès supplémentaire début avril, cinq internes en médecine ont désormais mis fin à leurs jours depuis le 1er janvier. Pour les syndicats, le lien avec leurs conditions de travail fait peu de doutes. Épuisement, horaires à rallonge, pression hiérarchique, parfois harcèlement… Avec la campagne #ProtegeTonInterne lancée sur les réseaux sociaux, ils espèrent rendre visible le mal-être des futurs médecins.

Leur première revendication : que l’hôpital ne soit plus une “zone de non-droit”, où les horaires maximums de travail ne sont pas respectés et les comportements condamnables impunis. Ils interpellent ainsi directement le ministère de la Santé, premier responsable selon eux. Entretien avec Gaëtan Casanova, président de l’intersyndicale Nationale des Internes (ISNI), et interne d’Anesthésie-Réanimation.

Marianne : Il s’agit du cinquième suicide d’un interne en médecine depuis le début de l’année 2021. La situation s’aggrave-t-elle par rapport à l’année dernière ? Qu’est-ce qui vous permet d’affirmer que ces suicides sont la conséquence des conditions de travail des internes ?

Gaëtan Casanova : Si la question est de savoir si le nombre d’étudiants en médecine à s’être donné la mort en 2021 est pour l’instant significativement plus élevé qu’en 2020, honnêtement, nous n’en savons rien. Mais sur notre ressenti, il est clair que la situation empire, il y a un problème criant. Il n’y a pas une semaine qui passe sans que je reçoive des internes en pleurs. Je vois leur détresse. Alors cinq suicides en trois mois, de toute évidence, c’est trop.

D’autant plus que quand on souffre, en médecine, la culture de ce milieu veut que l’on serre les dents. Il y a un grand sens de la responsabilité, parfois délétère. Un interne sait que s’il est épuisé mentalement et physiquement, et qu’il demande à ne pas faire une garde, à prendre des jours de repos, il ne sera pas remplacé. La charge de travail sera remise sur ses collègues. Alors les internes restent surchargés, refusant de mettre les autres en péril. Ils parlent peu de leur mal-être : ceux qui nous sont remontés sont probablement sous-estimés.

Ensuite, on ne monterait pas au créneau si on n’avait pas la certitude que les conditions de travail sont liées à leur détresse. Certains ont laissé des lettres qui laissent peu de doutes sur les causes de leur souffrance. Ils évoquent la pression, l’épuisement, le harcèlement, pour certains les relations avec leurs chefs de service, les attitudes humiliantes… Globalement, on sait que travailler 90 heures par semaine est dangereux et augmente le risque de suicide, tout comme les violences subies dans le cadre professionnel.

Quelles sont les spécificités du cursus en médecine qui explique cette détresse des étudiants ?

Pour moi, il y a trois causes, connectées les unes aux autres, et qui, mises ensemble, deviennent explosives. D’un côté, la charge de travail, comme je l’ai dit. Un interne travaille 58 heures en moyenne en semaine, plus de 70 en chirurgie. Avec le Covid, beaucoup frôlent les 100 heures hebdomadaires, avec deux ou trois gardes de 24 heures. Il est évident que l’épuisement engendre une fragilisation psychologique. Ensuite, je pense que la rigidité des cursus influe. En tant qu’interne, changer de ville et de spécialité est extrêmement compliqué. Pour changer de lieu, il faut faire valoir un motif familial impérieux, et clairement, la plupart sont considérés comme injustifiés. Changer de spécialité est également complexe. Alors on n’a pas le droit à l’erreur, cela crée une forme de pression. Mais surtout, les violences de tous types – harcèlement, dénigrement, violences sexuelles et sexistes, souvent du fait des supérieurs hiérarchiques -, sont sources de souffrance pour les étudiants.

Selon vous, la structure même du fonctionnement hospitalo-universitaire favorise les violences de certains supérieurs hiérarchiques…

À l’hôpital, dans les CHU, les chefs de service sont à la fois professeur, chercheur, clinicien, et manager d’équipe. C’est-à-dire qu’une même personne vous enseigne, encadre votre internat, et dirige le service dans lequel vous travaillez. Alors, est-ce que les violences sont statistiquement plus élevées à l’hôpital ? Je ne le pense pas. En revanche, lorsqu’il y a harcèlement, dénigrement, ou autre forme de violences de la part de ce supérieur, celui-ci est dans une impunité totale. Ce cumul nous rend extrêmement dépendants de notre supérieur hiérarchique, et augmente l’omerta.

En faisant tout, souvent, on fait tout mal. Ce système fait que les services sont mal gérés, il n’y a pas de management adéquat. Les chefs de service ne sont pas formés à diriger une équipe, ils passent de l’amphithéâtre au management. Ils doivent gérer à la fois les stocks de médicaments, le matériel, mais aussi leurs salariés, et cela s’apprend.

Lire la suite, « La crise sanitaire amplifie-t-elle la souffrance des internes?« , sur le site www.marianne.net

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