« L’acceptation de l’autorité n’est pas obéissance mais reconnaissance d’une relation dissymétrique dont chacun reconnaît la justesse et la légitimité et où tous deux ont d’avance leur place fixée. »
Hanna ARENDT, 1961
L’entretien doit permettre de reconstituer:
1. L’historique de l’entreprise
– Modifications de la situation juridique de l’entreprise
– Dates de fusion rachat, confrontation de culture d’entreprise, de culture du travail, de règles de métier, d’objet du travail, équipes en doublon, mises en rivalité des équipes et des sites, modification de la finalité de l’entreprise, passage d’une logique de production à une logique financière
– Taille de l’entreprise, (différence de rapports: directs dans une TPE/PME, représentation des salariés dans les grandes entreprises, CE, CHS-CT), éclatement des sites et des structures
– Evolution du rôle des RH, externalisation des RH
– Réorganisation du travail au niveau de l’entreprise ou du service. (Changement de procédures, de logiciels, d’organigramme, mise en place d’organisation matricielle, entretiens d’évaluation individuelle…
– Augmentation, diminution des effectifs, polyvalence et mobilité, rotation du personnel, sous-traitance
2. Le parcours professionnel du salarié
– La formation professionnelle et le niveau de diplômes
– Les postes occupés au décours du parcours professionnel (leur cohérence avec la formation de départ, leur fréquence, les motifs de changements, imposés ou personnel, la progression ou la stagnation de carrière, l’accès à la formation)
– Le type de rémunération (fixe, variable, prime sur objectifs, survivance et cohabitation d’anciens statuts.)
– Le statut du salarié avant l’emploi actuel (chômage, inactivité, poste équivalent, mutation..)
– L’ancienneté dans l’entreprise, dans l’emploi et dans le poste
– Le type de contrat de travail, (CDI, CDD, contrat aidé, contrat d’apprentissage, intérim, temps partiel subi ou choisi.)
– La cohérence entre la qualification et le contenu du poste actuel
– Les risques du poste: Ergonomie du poste (bureau seul, open-space, lumière naturelle, isolement phonique ct.), les autres risques éventuels (physiques, chimiques, biologiques, routier…)
– Les modifications répétitives ou récentes du poste de travail :
– sur le contenu: modifications des taches, en excès ou en perte, retrait de responsabilités, changement de métier imposé, passage au reporting
– sur les relations: mise au ban de l’équipe, coupure de l’extranet et/ou de l’intranet, coupure de tous les circuits d’information
– Sur l’environnement de travail: changement de bureau négatif, remplacement d’un matériel performant par un matériel obsolète
3. La Chronologie de la Situation de Travail
avec la bascule entre vécu de conditions de travail « normales » et vécu de conditions de travail anormales quant à l’accomplissement de soi:
A. Modifications organisationnelles:
– Départ ou arrivée d’un directeur (connaissance de son parcours)
– Départ d’un collègue qui représentait un appui
– Arrivée de collègues dans un contexte de rivalité, avec une culture de travail; ou des statuts différents
– Procéduralisation du travail (apparition de bibles, normes ISO, traçabilité.)
– Introduction d’une nouvelle technique de travail (nouveau logiciel informatique, organisation matricielle de type SAP, nouvelle technique de traitement des dossiers, passage au numérique … etc)
– Accroissement des performances exigées dans des organisations du travail en juste à temps, à flux tendus, c’est-à-dire, sans marge de manœuvre en cas de dysfonctionnement, densification et intensification des taches, chasse aux temps morts..
– Introduction et/ou modification des techniques d’évaluation:
– Evaluation en temps réel
– Rapport d’activité, suivi d’objectif, contrôle de gestion, contrôle de qualité, passage du contrôle de production au contrôle de gestion
– Statut de l’écart travail prescrit/travail réel: erreur-opportunité ou erreur- faute
B. La restitution « subjective » de l’activité de travail.
C’est au travers de la restitution de situations précises et détaillées qu’une concordance pourra être établie avec un climat générateur de souffrance au travail ou avec la typologie des formes de harcèlement.
C. L’analyse de la qualité du collectif de travail:
– Taille du service
– Nombre de salariés
– Ancienneté des membres de l’équipe
– Existence de réunions formelles
– Existence des temps de transmission
– Existence de réunions informelles, pause-café
– Type de relation dans le collectif: convivialité de surface, convivialité stratégique, convivialité réelle….
– Coopération véritable autour de l’activité de travail
– Mise en partage des difficultés, des ficelles et tours de mains de chacun pour y faire face
– Existence de fraudes, faute de délibération sur le travail
– Vécus de solitude et de chacun pour soi
– Formation de clan
– Election de bouc émissaire
4. Les évènements de vie pouvant être responsables de la décompensation en lieu et place du travail
5. L’identification du tableau spécifique de névrose traumatique
La névrose traumatique peut être possible dès le début de l’entretien si le patient est encore en situation de maltraitance au travail. L’effraction psychique peut resurgir avec l’évocation de l’activité de travail
Si le procédé de maltraitance perdure et si un réseau de coopération ne se crée pas autour du salarié concerné, les signes cliniques apparaissent. La forme la plus grave correspond au tableau de névrose traumatique et s’apparente au syndrome de stress post-traumatique.
La névrose traumatique survient dans des situations où le sujet vit une menace, réelle ou ressentie, contre son intégrité physique ou psychique. Elle correspond à un débordement de l’appareil psychique qui pris par surprise, ne peut solliciter des mécanismes de défense adéquats. Il existe pour chacun d’entre nous des circonstances spécifiques capables en raison de leur signification, de déclencher une névrose traumatique. Il n’y a pas de proportionnalité objective entre la gravité de la situation et la gravité du tableau clinique.
La névrose traumatique se caractérise par son début, dans les suites immédiates de la situation de travail ayant valeur de traumatisme :
– L’angoisse du patient harcelé est subaiguë avec des manifestations physiques: tachycardie, tremblements, sueurs, boule œsophagienne.
– Le retour en boucle des scènes traumatisantes s’impose au patient et les lui fait revivre.
– Les attaques d’angoisse surgissent spontanément, déclenchées par une perception analogique avec tel ou tel détail cardinal de la scène traumatique. : Bruit, couleur du mur, mimique d’une personne présente, odeur particulière.
– Les cauchemars intrusifs apparaissent, entraînant le réveil immédiat en sueurs, en criant.
– L’insomnie réactionnelle devient le moyen de bloquer la survenue des cauchemars intrusifs. L’insomnie, la fatigue, la lutte contre les crises d’angoisse génèrent un repli social, affectif et sexuel majeur, une altération progressive de l’état général, sur tous ses versants, somatique, cognitif, psychique :
– Les atteintes cognitives sont toujours présentes : perte de mémoire, troubles de concentration, de logique.
– Les atteintes psychiques entraînent: la perte de l’estime de soi, un sentiment de dévalorisation, de perte de ses compétences, un sentiment de culpabilité, une position défensive de justification, un effondrement anxio-dépressif,pouvant mener à un état d’angoisse paroxystique à évolution suicidaire (raptus suicidaire)
– Les atteintes somatiques sont le signe de l’atteinte des défenses immunitaires après l’effondrement des défenses psychiques. Elles sont de gravité croissante suivant la durée de la situation: perte ou prise de poids importantes, atteintes de la sphère digestive, cardiaque et gynécologique chez les femmes (aménorrhées, métrorragies, plus graves encore, cancers du col, de l’ovaire, de l’utérus.). Dans la perspective psychosomatique, la décompensation témoigne généralement de la faillite des possibilités de représentation, du débordement des capacités de liaison de la psyché, d’une situation d’impasse pour le sujet. « La somatisation est le processus par lequel un conflit qui ne peut trouver d’issue mentale, va déclencher dans le corps des désordres endocrino-métaboliques, point de départ d’une maladie organique.»
– Il existe aussi un désarroi identitaire spécifique pour les patients subissant des situations professionnelles contradictoires où leurs difficultés de terrain n’ont pu remonter dans la hiérarchie, être reconnues et mises en débat jusqu’au traumatisme: altération des repères moraux, le vrai et le faux, le juste et l’injuste, le bien et le mal.
6. Les techniques de management potentiellement pathogènes
« L’acceptation de l’autorité n’est pas obéissance mais reconnaissance d’une relation dissymétrique dont chacun reconnaît la justesse et la légitimité et où tous deux ont d’avance leur place fixée. »
Hanna ARENDT, 1961
A. LE LIEN DE SUBORDINATION:
Les pratiques relationnelles:
Elles assoient la relation de pouvoir:
– injonction au tutoiement et embrassades
– l’asymmétrie hiérarchique à visée d’humiliation
– couper la parole systématiquement
– utiliser un niveau verbal élevé et menaçant
– faire disparaître les savoir-faire sociaux (ni bonjour, ni au revoir, ni merci)
– critiquer systématiquement le physique du salarié en privé ou en public
– utiliser en public des injures sexistes, racistes, des mises en cause professionnelles face aux collègues ou au public (clientèle).
– cesser toute communication verbale (post It, note de service, mail)
– ne plus le regarder dans les yeux, le regarder avec mépris
– utiliser l’entretien d’évaluation à visée de déstabilisation émotionnelle
Les pratiques d’isolement:
Elles entraînent la séparation du sujet de son collectif de travailou d’une partie du collectif de l’autre clan. La mise au ban, l’isolement, la solitude génèrent des états de détresse psychique majeurs.
– omission d’information sur les réunions
– omission d’invitation aux réunions concernant le salarié
– injonction faite aux autres salariés de ne plus communiquer avec la personne désignée.
– afficher de la complaisance pour certains, une rigueur excessive pour d’autres dans la gestion des horaires ou des temps de pause par exemple
– répartir la charge de travail de manière inégalitaire, en qualité et en quantité
– stigmatisation publique d’un ou plusieurs salariés devant le reste de l’équipe
– management de concurrence stratégique
B. LES REGLES DISCIPLINAIRES:
Les pratiques disciplinaires:
Le contrôle du travail fait partie des prérogatives de l’employeur mais doit être utilisé avec loyauté et bonne foi. La surveillance humaine ou technologique de tous les faits et gestes peut devenir persécutoire:
– vérification des tiroirs, casiers, poubelles, sacoches et sacs à mains du salarié
– contrôle de la durée des pauses, des absences
– contrôle des conversations et relations avec les collègues
– obligation de laisser la porte du bureau ouverte « pour que je vous voie »
– demande de reporting abusif, utilisation des NTI pour contrôler, mesurer et surveiller l’activité corporelle et psychique du salarié.
Les pratiques punitives:
Elles mettent les salariés en situation de justification constante et s’avèrent contreproductives en détruisant la reconnaissance du travail.
– incohérence des procédures de notation et d’évaluation jouant sur les tableaux – d’avancement d’échelon et de grade
– notes de service systématiques (jusqu’à plusieurs par jour)
– Réunions disciplinaires, blâmes et avertissement pour faits véniels
– utilisation réitérée de lettre recommandée avec accusé de réception (AR), déposées par huissiers
– procédure disciplinaire non fondée
-affectation autoritaire dans un service
– incitation forte à la mutation, à la démission
– blocage à la mutation
– heures supplémentaires non validées et non compensées,
– vacances imposées ou non accordées au dernier moment
– multiplication intentionnelle des courriels
C. LE POUVOIR DE DIRECTION ET D ‘ORGANISATION
Le pouvoir de direction sur le geste de travail:
Elles peuvent entraîner la perte du sens du travail.
La perte du sens du travail:
– travailler à la limite de l’illégalité (fausses factures, épandages sauvages, réparation incomplète, mauvaise qualité des matériaux impliquant la sécurité du client.)
– Devoir appliquer des normes dites de qualité, en convergence avec celles du marché mais pas du travail,
– Se voir imposer des procédures de qualités en parallèle avec un travail exécuté en mode dégradé
Les injonctions paradoxales:
– définir une procédure d’exécution de la tâche et une fois qu’elle est exécutée, contester la procédure,
– donner du travail sur le mode « mission impossible »
– injonction à prioriser le s taches toute urgentes
– faire refaire une tâche déjà faite,
– fixer des objectifs sans donner les moyens en qualité et quantité
– fixer des prescriptions rigides, « au pied de la lettre » sans prise en compte du réel du travail
– imposer l’obéissance à la prescription « au pied de la lettre », au détriment du travail qu’elle est supposée organiser.
– corriger des fautes inexistantes,
– déchirer un rapport qui vient d’être tapé en le jugeant inutile,
– faire venir le salarié et ne pas lui donner de travail.
La mise en scène de la disparition:
– priver de bureau, de téléphone, de PC, vider les armoires
– Effacer le salarié des organigrammes, des papiers à en-tête…
– injonction à ses collègues de ne plus lui parler
– suppression des outils de travail et relationnels (intranet, réunions)
La reddition émotionnelle par hyperactivité:
– déposer les dossiers urgents 5 minutes avant le départ du salarié
– augmentation excessive de la charge de travail dans un temps imparti
– travail en apnée, perte des temps de répit physiologiques, cognitifs et psychologiques
– envahissement cognitif, intellectuel, physique, du temps hors travail par les NTI
L’UTILISATION PONCTUELLE D’UNE DES PRATIQUES DECRITES CI-DESSUS NE CONSTITUE PAS NECESSAIREMENT UN FAIT DE MALTRAITANCE
L’analyse des décisions de justice sanctionnant la maltraitance recoupe et confirme la typologie répertoriée ci-dessus. Le juriste rattache ces techniques de management pathogènes à la violation d’une règle de droit:
– Le détournement du lien de subordination: incivilité à caractère vexatoire, refus de dialoguer, remarques insidieuses ou injurieuses, mots qui blessent, dénigrement et volonté de ridiculiser, moqueries.
– Le détournement des règles disciplinaires: sanctions injustifiées basées sur des faits inexistants ou véniels. Atteinte aux avancements de grade et d’échelon, aux demandes de formation professionnelles. Evaluation et notation abusive.
– Le détournement du pouvoir de direction: isoler, ne pas donner de travail, donner des objectifs irréalisables, donner du travail inutile, changer arbitrairement d’affectation.
– Le détournement du pouvoir d’organisation: modifier arbitrairement les conditions de travail ou les attributions essentielles du poste de travail.
La discrimination de système
Le Droit est un Droit du genre masculin
– hiérarchie de métiers genrée
– assignation genrée des taches
– naturalisation des compétences
– plafond de verre
– imposition d’une lecture masculine dans les outils, les relations et l’organisation du travail
– inégalité salariale genrée
– temps partiel subis
– discrimination de mères à l’embauche
– organisation du travail au masculin neutre (réunions tardives, prégnance des valeurs masculines)
– banalisation des comportements sexistes (blagues, affiches, fond écran, gestes déplacés..)
La discrimination syndicale
– Existence DP, DS
– Historique de conflits
– Pluri syndicalisme
– Discrimination, entrave,
– Efficacité et poids
– Confiance des salariés