Elle est connue du grand public pour avoir exploré la « charge mentale » que subissent les femmes. Dans son dernier opus, la dessinatrice Emma explore le monde du travail. L’occasion d’en discuter avec elle.
Puis Emma est devenue diplômée. Ingénieure informaticienne. Mallette et tailleur neuf, elle intègre alors une société de service. « J’étais convaincue d’avoir enfin trouvé ma place dans la société », dit-elle. Au début, elle travaille au sein d’une équipe solidaire, soutenue par ses supérieurs. Mais en 2009, sa boîte connaît une restructuration. La branche ferme. Emma est assignée sur une autre mission. Avec un boss culpabilisant, des horaires tordus, une collègue avec qui elle doit alterner des permanences, y compris pour la pause déjeuner, des instructions vagues, des ordres peu clairs. Elle n’en dort plus, se sent incompétente, s’emmêle les pinceaux, fait des angoisses, perd totalement confiance, puis pied. Un jour, elle s’écroule. Burn-out.
Les règles du jeu sont pipées, il y a des dominants et des dominés
Et le travail, c’est pas la santé. Pas dans le monde d’Emma. Le travail lui a fait du mal. Longtemps, elle n’a pas compris pourquoi. « J’ai grandi dans cette idée qu’il y avait un contrat social à respecter, qui était de bien travailler à l’école, de ne pas faire de vague. Et si l’on faisait tout bien, on accédait à une bonne position dans la société », raconte-t-elle. « Sauf que j’ai compris qu’en fait, ce fameux contrat avait des règles du jeu pipées. Le monde fonctionne comme cela, car il y a des dominants et des dominés, une domination patriarcale, mais qui sous-tend tout cela, une domination capitaliste. »
Car Emma s’est questionnée. S’est mise à décortiquer le travail. A déconstruire ce qu’on lui avait appris. Dans sa BD, elle décrit comment une organisation peut laminer un travailleur. Le manque d’autonomie, l’ambiance « toxique », la réduction des coûts, les exigences trop élevées, les changements récurrents, le mauvais management, les restructurations mal accompagnées, les conflits larvés entre salariés. Le mal-être, la souffrance au travail que cela crée. La détresse psychologique, mais aussi les accidents de travail. Les suicides. « J’ai connu des restructurations dans le numérique, mais en faisant mes recherches, j’ai découvert qu’il y en avait dans tous les secteurs, dans l’automobile, l’éducation nationale », poursuit-elle. « Les suicides qu’il y a eus récemment, c’est à cause de tout cela. Des changements, menés par des gens complètement déconnectés du métier, qui vont réorganiser une structure de façon brutale, pas fonctionnelle, juste parce qu’ils ont décidé de faire un nouveau plan com’ ou des économies. »
Elle constate, aujourd’hui, que la question de la souffrance morale devenir plus présente. Par exemple ses parents, professeurs, qu’elle a vus « petit à petit perdre foi en leur rôle d’enseignant », par manque de moyens, les classes bondées, l’impossibilité de combler les écarts sociaux. Elle note les « paillettes », des nouvelles formes de travail qui masquent pour elle des reculs sociaux. « La flexibilité des horaires fait que les gens ne sont plus au travail au même moment, et la solidarité se perd. Le flexi-bureau permet de ne pas avoir de cohésion d’équipe », déplore-t-elle. Elle note, encore ce changement permanent : « Cela oblige les gens à ne jamais rien prendre pour acquis, à toujours tout accepter, à ne jamais se reposer. Le fait de devoir changer de bureau tout le temps, c’est énorme en terme de charge mentale : on doit penser à ses affaires, on a l’esprit occupé en permanence. C’est très utile pour qu’on ne soit pas occupé à se poser des questions sur sa condition. »
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