Conséquence spectaculaire de la montée du stress au travail, le?syndrome d’épuisement professionnel touche de plus en plus de personnes. La riposte s’organise même si le gouvernement refuse de franchir le cap de la reconnaissance en maladie pro.
Ce matin-là, Thierry (*), commercial, n’est pas sorti de sa voiture. Ses collègues le trouveront à midi, toujours sur le parking, hagard, comme vidé?par le stress. Marie, elle, cadre RH dans le BTP, s’est écroulée en larmes lors d’une banale pause-café. Des objectifs «?intenables?», une «?énième réorganisation?», «?des gens à virer alors que je ne fais pas ce métier pour ça?»?: après des années à rallumer son PC le soir, sitôt les enfants couchés, ses nerfs ont lâché. Elle repartira en ambulance. Ce sont les pompiers qui sont venus chercher Françoise, employée d’un fabricant d’armes. Le travail en «?sous-effectif?» et la «?perte d’autonomie?», avec ce nouveau logiciel «?qui complique tout?», la rongeaient jour et nuit…
Alors quand son mari l’a encore invitée à «?ne pas s’en rendre malade?», elle a «?tout cassé à la maison?», même si elle ne s’en souvient plus. Suivra une longue dépression. Colette, assistante, n’a pas atteint ce point de rupture?: son médecin l’a mise en arrêt avant, quand elle lui a confié ses «?envies suicidaires?». Ce job, pourtant, elle «?l’adorai[t]?». Mais les tâches en plus s’empilant, il devient «?impossible?», bien qu’elle «?saute déjà les déjeuners?». Paul, haut gradé dans la banque, toujours entre deux avions, estimait, lui, ne pas avoir le temps de voir le docteur. Il fallait tenir le rythme imposé et il aimait avoir des responsabilités. Mais soixante déplacements dans l’année plus tard, une embolie pulmonaire finira par le clouer au sol.
La maladie «?du trop?»
Ils ont rejoint la cohorte des grands brûlés du travail, consumés par un burn-out. Conséquence spectaculaire de la montée du stress au travail, le?syndrome d’épuisement professionnel, en français, résulte de «?l’écart trop important?entre leurs attentes, la représentation qu’ils ont de leur métier – portée par des valeurs et des règles – et la réalité du travail?», indique l’Institut national de recherche sur la santé au travail (INRS) . «?C’est la maladie du toujours plus, du trop, du surengagement, physique et psychique?», résume Jean-Claude Delgènes, fondateur du cabinet Technologia, expert des risques psychosociaux. Un mal qui mûrit lentement, avec des symptômes variés, avant de basculer vers la dépression. Si ce n’est le suicide.
Un mal, surtout, moderne. Faute de données, impossible de compter les victimes?: les tableaux de maladies professionnelles ne mentionnent aucune maladie due à des facteurs psychiques. Mais les services de santé au travail, des experts et les syndicats tirent la sonnette d’alarme. Apparu dans les années 1980 dans la santé et l’éducation (des métiers «?vocations?», exigeants et à forte charge émotionnelle), le burn-out «?gagne depuis quinze ans les entreprises et la vague s’accélère?», martèle Jean-Claude Delgènes. «?60?% de mes consultations concernent le stress, contre 10?% il y a vingt ans. Je devrais écrire psychiatre sur ma porte…?», abonde Martine Keryer, médecin du travail.
En cause?: l’évolution du management. Le temps du déni, prégnant quand le sujet a explosé en 2008-2009 avec les suicides chez Orange, est révolu. Un rapport remis en 2010 par Henri Lachmann (Schneider Electric), Murielle Pénicaux (Danone) et Christian Larose (CGT) analyse les nombreux facteurs alimentant l’essor des situations de stress chronique au travail?: rythme accru des réorganisations, peur du chômage, essor des organisations matricielles qui imposent un reporting permanent, nouvelles formes de taylorisme dans le tertiaire («?lean management?»), omniprésence des e-mails et des portables qui empêchent de déconnecter, pression aux résultats avec la financiarisation de l’économie…
3 millions de salariés menacés
Selon la Cegos, 53?% des salariés et 68?% des managers jugent leur travail trop stressant. Reproches récurrents?: trop de travail, sans les moyens ni la latitude pour bien l’effectuer, le tout pour une faible reconnaissance et un accomplissement personnel en baisse. Selon une étude du ministère du Travail, 9?% des salariés sont «?surexposés?» aux risques psychosociaux, et 13?% n’en sont pas loin. Selon Technologia, 3 millions de salariés sont menacés, à divers degrés, de burn-out.L’enjeu humain se double d’enjeux financiers. «?Les entreprises cassent des gens puis reportent le coût sur la société via la Sécu?! C’est énorme?: outre les dépressions, le stress entraîne du diabète, de l’hypertension, de l’obésité, des AVC…?», s’indigne Bernard Salengro, médecin du travail et ex-dirigeant de la CGC, le syndicat des cadres. En 2007, une étude de l’INRS a estimé à «?au moins?» 2 à 3 milliards d’euros par an le coût du stress au travail.
…
Lire la suite sur le site Les Échos
——
(*) Les prénoms ont été modifiés