Mise en ligne d'une ressource documentaire exceptionnelle sur les conditions de travail au début du XXe siècle

01 juillet 2016 | Chroniques, Emploi et Chômage

L’Union syndicale Solidaires, une confédération syndicale française qui compte quelque 300.000 membres, a récemment mis en ligne des enquêtes sur les conditions de travail et les maladies professionnelles. Parus entre 1907 et 1914 dans le quotidien L’Humanité, ces articles restent d’une étonnante actualité. Ils constituent une source de premier plan pour l’histoire du monde ouvrier et une œuvre journalistique originale.

Au début du XXe siècle, deux journalistes autodidactes, les frères Léon et Maurice Bonneff, se donnent pour projet de décrire la condition ouvrière. Militants socialistes et membres de la CGT, ils se rendent dans les usines de la banlieue nord de Paris et d’Île-de-France, puis dans les mines, les carrières, les verreries et autres établissements industriels de Normandie, du Pas de Calais et de Bretagne.

Leurs contacts dans le mouvement syndical leur ouvrent les portes des usines. Ils observent le travail, le décrivent avec force détails, interrogent les ouvriers, visitent leurs logements et rapportent dans un style naturaliste leurs conditions de travail et de vie.

Ils décrivent les maladies professionnelles qui déciment le monde ouvrier, comme l’empoisonnement par le mercure ou le plomb.

Leur attention se focalise sur les abus les plus révoltants liés au capitalisme industriel : le travail des enfants, l’exploitation des travailleurs migrants, la misère des travailleurs malades ou victimes d’un accident du travail.

Fait assez remarquable pour l’époque, le duo de journalistes dénonce l’écart salarial entre ouvriers et ouvrières, et les tâches ingrates qui leur sont confiées.

Dans une enquête sur le travail des enfants, ils s’en prennent aux « bourreaux et trafiquants d’enfants » qui fournissent de « jeune viande à feu » les verreries de la banlieue parisienne.

Ils dénoncent – déjà – le manque de moyens mis à la disposition de l’inspection du travail et l’indifférence des représentants de l’État face au non-respect des premières lois adoptées pour protéger les travailleurs.

Leur plume se fait souvent grinçante et ironique quand ils évoquent les membres de l’Assemblée nationale, les ministres, les patrons véreux, les juges complices.

« Si le tribunal n’affirme pas le droit de l’inspecteur à faire appliquer les lois – même quand elles ont pour but de protéger la classe ouvrière ! C’en est fait de l’inspection du travail », écrivent-ils dans un reportage consacré aux suites judiciaires de l’agression d’un inspecteur du travail trop zélé.

Le reportage qu’ils consacrent à l’industrie de l’amiante (lire l’extrait ci-dessous) témoigne de la pertinence d’une démarche journalistique en milieu de travail, au plus près des travailleurs. Nul doute que Léon et Maurice Bonneff seraient aujourd’hui considérés comme des « lanceurs d’alerte » et de grands « journalistes du réel ».

Une hécatombe d’ouvriers (sur les ouvriers d’une fabrique de textile et de carton à base d’amiante)

« Ces poussières sont pointues et piquantes, doublement nocives, puisqu’elles agissent à la fois comme des poussières textiles et comme des poussières minérales, ces redoutables particules de grès ou de silex qu’aspirent les carriers et les meuliers et dont ils meurent. Leurs arêtes coupantes piquent les muqueuses, les enflamment, les perforent. Chaque grain devient le centre d’un petit abcès. Les organes respiratoires sont vite détruits. Et la mort fait de la place aux jeunes. Les hommes peuvent tenir jusqu’à cinq ans, les femmes ne durent guère que deux ans, dans ces ateliers où les poussières s’agglomèrent et forment une sorte de feutre épais sur les charpentes et sur toutes les parties fixes. Il y a des usines où les meules broient à nu l’amiante. Aucun ventilateur, aucun tuyau, aucune enveloppe ne sont installés pour capter les poussières. Les ouvriers travaillent en ces lieux en serrant entre leurs dents un mouchoir mouillé. Misérable protection ! Avec ou sans mouchoir, ils meurent vite. L’hiver les achève : en une seule usine qui occupe une centaine de travailleurs, il mourut chaque année, durant les quatre mois de mauvaise saison, un homme par semaine. »

Lire la suite sur le site de l’European Trade Union Institute

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