PERSONNELS SOIGNANTS et ACCOMPAGNANTS : quels recours en cas de difficultés avec les voisins ?

06 avril 2020 | Dans la Loi

Par Benoît ARVIS, Avocat au Barreau de Paris (www.arvisavocats.fr)

De nombreux soignants, mais aussi personnels accompagnants (en EHPAD), ont été victimes depuis le début de l’épidémie de Covid19, de manifestations d’hostilité ou d’agressivité de la part de certains de leurs voisins.

Sur fond d’inquiétude généralisée en raison des caractéristiques anxiogènes de cette épidémie (un virus hautement contagieux, hautement pathogène, sans vaccin ni traitement connu à ce jour), certains voisins s’en prennent ainsi aux soignants et accompagnants, leur demandant de déménager, au motif que ces derniers sont exposés à un risque de contamination trop élevé.

Ces agissements malintentionnés sont susceptibles de provoquer l’application de trois catégories de règles juridiques :

1. En premier lieu, les voisins qui commettent ces agissements peuvent être reconnus responsables de fautes civiles et pénales.

Sur le plan civil, tourmenter son voisin en raison de l’activité professionnelle de ce dernier constitue certainement une méconnaissance des règles du bon voisinage. On dit en droit que l’occupant d’une habitation ne peut causer à autrui de troubles qui excèdent les inconvénients normaux de voisinage. Quant au locataire, la jurisprudence estime qu' »en application des dispositions des articles 1728 du Code civil et 7 de la loi du 6 juillet 1989, le preneur est tenu d’user paisiblement des locaux loués suivant la destination qui leur a été donnée par le bail« . La victime peut réclamer des dommages et intérêts, et si l’auteur des agissements est locataire, le bailleur peut se retourner contre lui pour une indemnisation (Cour de cassation, 14 avril 2016, n° 15-17.413), voire la résiliation du bail (résiliation du bail pour des « cris, bruits, menaces et insultes » : C.A. Toulouse, 20 mai 2019, n° 17/01673 ; résiliation du bail pour « bruit ou tapage injurieux » : C.A. Saint-Denis-de-la-Réunion, 12 juillet 2019, n° 18/00142).

Le conseil du praticien : les faits doivent être immédiatement portés à la connaissance du bailleur et du syndic de copropriété, en réclamant leur intervention.

Sur le plan pénal, parmi les diverses infractions susceptibles d’être constituées, citons au moins la menace (art. 222-17 du code pénal : 6 mois d’emprisonnement, 7500 euros d’amende), le harcèlement moral (art. 222-33-2 du code pénal : 2 ans d’emprisonnement, 30000 euros d’amende), les violences (art. 222-13 du code pénal : 3 ans d’emprisonnement, 45000 euros d’amende), et peut être une discrimination à raison du lieu de résidence ou de l’état de santé, réel ou fantasmé puisqu’en l’occurrence, les voisins indélicats accusent les soignants et accompagnants d’introduire le virus Covid19 dans leur lieu de résidence (code pénal, art. 225-1 : 3 ans d’emprisonnement, 45000 euros d’amende).

Le conseil du praticien : les faits peuvent faire l’objet d’une plainte pénale, auprès du commissariat de police ou du procureur de la République. Rappel : ces autorités ne peuvent s’opposer au dépôt d’une plainte, ni imposer le dépôt préférentiel d’une main-courante.

2. En deuxième lieu, l’employeur des soignants et accompagnants ainsi visés par des agissements malintentionnés, est responsable des conséquences que ces agissements causent à la santé des personnes qui en sont victimes.

Au titre de la relation de travail – qu’elle soit contractuelle ou, pour les fonctionnaires hospitaliers, statutaires – l’employeur est responsable des accidents subis en service ou au travail, ainsi que des maladies professionnelles ou contractées en raison de l’activité professionnelle. Certains accidents sont reconnus imputables au travail, même lorsqu’ils se déroulent en dehors du lieu ou du temps du travail, lorsqu’ils présentent un lien essentiel avec le travail (v. pour une agression sur le trajet vers le domicile : Cour de cassation, Chambre sociale, 28 avril 1981, n° 80.12/146 ; également pour les agents publics : Conseil d’Etat, 16 juillet 2014, n° 361.820). Il est permis de penser qu’un choc psychologique pourrait constituer un accident de travail (ou l’apparition d’un trouble anxieux, constituer une maladie professionnelle) lorsqu’il est causé par des agissements qui sont essentiellement motivés par l’activité professionnelle du soignant ou de l’accompagnant.

Le conseil du praticien : dans le cas où les agissements des voisins causeraient un choc psychologique ou un syndrome anxieux nécessitant un arrêt de travail, déclarer ce dernier au titre d’un accident de travail ou de service, ou d’une maladie professionnelle.

En outre, tout employeur est tenu par une obligation de protection de la santé et de la sécurité vis-à-vis de ses employés, qui lui impose de prendre toute mesure de nature à prévenir un dommage causé aux employés dans l’exercice de leur activité professionnelle. C’est à plus forte raison le cas chez les employeurs publics, qui doivent à leur agent (que celui-ci soit contractuel ou titulaire) une obligation dite de « protection fonctionnelle », l’obligeant à prendre toute mesure (préventive ou de réparation) face à des menaces, violences, voies de fait, harcèlement (loi du 13 juillet 1983, art. 11).

Le conseil du praticien : les faits doivent être immédiatement portés à la connaissance de l’employeur ainsi que de toute autorité propre à intervenir (le comité d’hygiène, sécurité et des conditions de travail ; l’inspection du travail ; le médecin du travail ou de prévention).

3. En troisième lieu, ces agissements relèvent sans aucun doute de ceux qui nécessitent une intervention de l’État au titre de ses pouvoirs de police administrative.

L’État est garant de la sécurité des personnes et des biens ; il doit intervenir lorsqu’un trouble à l’ordre public, en particulier à la sécurité publique, menace les particuliers. L’usage du pouvoir de police n’est ainsi pas une faculté, ce peut être une obligation quand la situation le nécessite, et l’État se place en faute s’il n’intervient pas pour mettre un terme à un trouble persistant et récurrent à l’ordre public (un exemple récent, la responsabilité du Préfet de police et de la Mairie de Paris pour défaut d’usage du pouvoir de police rue Dejean, dans le 18e arrondissement parisien : C.E. 9 novembre 2018, Association Vie Dejean, n° 411.626). Il est permis de penser que les actes d’hostilité contre les soignants et accompagnants, en se répandant pendant une période aussi sensible, relève d’un trouble à l’ordre public.

Le conseil du praticien : saisir les instances ordinales et les syndicats professionnels dont relève chaque soignant ou accompagnant, en demandant que ces instances et syndicats interpellent les autorités sur l’existence d’un trouble à l’ordre public appelant la mise en œuvre de mesures de « police administrative ».

Avocat en droit public, Benoît Arvis est membre du Réseau Souffrance et Travail. Il défend de très nombreux dossiers de harcèlement moral, de suicides, de maltraitances au travail dans la fonction publique.
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