Délai de carence des fonctionnaires : « Ce sont justement les politiques managériales qui les rendent malades »

Mise à jour le 12 novembre 2024 | Magazine

Alors que l’exécutif compte revoir les indemnités des fonctionnaires en arrêt maladie, la sociologue Danièle Linhart revient sur leurs conditions de travail et sur une mesure qu’elle qualifie de « tragique et hypocrite ».

Des milliards d’économies à tout prix. Alors que le projet de loi finances 2025 est examiné à l’Assemblée nationale et que le gouvernement est à l’affût des coupes budgétaires, ce sont les arrêts maladies des agents du public qui se retrouvent dans le viseur de l’exécutif.

Dans un entretien au Figaro publié dimanche 27 octobre [2024], Guillaume Kasbarian, ministre de la Fonction publique, estime urgente la lutte contre « l’absentéisme » chez les fonctionnaires, appelant à baisser de 100 % à 90 % la rémunération de leurs arrêts maladie, et à passer à trois leur nombre de jours de carence. Car dans le secteur public, les arrêts pour raison de santé ont augmenté de 80 % sur les dix dernières années, et la moyenne des jours d’arrêt par an et par agent y est plus élevée de 2,8 jours que dans le privé.

Comment expliquer une telle évolution ? Pourquoi l’exécutif accorde-t-il une telle place à cet « absentéisme » dans le débat sur le budget ? Et la pénalisation financière est-elle la solution ?

Le HuffPost a posé la question Danièle Linhart, sociologue du travail et professeure émérite au CNRS.

Le HuffPost. La baisse de la rémunération et la hausse du nombre de jours de carences en cas d’arrêt maladie vous semble-t-elle pertinente ?

Danièle Linhart. Je trouve cette mesure à la fois tragique et hypocrite. Tragique, parce que tout le monde n’est pas bien payé dans la fonction publique. Les gens vont essayer de ne pas prendre de repos, de continuer à venir au travail, et risquent de tomber encore plus malades ou d’être encore moins capables de faire du bon boulot. C’est aussi hypocrite, ou cruel, parce que ce sont justement les politiques managériales de la fonction publique qui les rendent malades. Non seulement les agents les subissent, mais en plus, on leur dit « vous allez le payer ».

C’est dans la fonction publique hospitalière que les agents prennent le plus de jours d’arrêt maladie (18 jours par an et par agent contre 11,7 dans le privé). Comment expliquer cela ?

Dans la fonction hospitalière, comme dans d’autres domaines de la fonction publique, on a une administration (ici, par exemple, des agences régionales de santé) qui impose aux professionnels des logiques de travail qui ne correspondent pas à leurs métiers.

À l’hôpital, de nombreux médecins soulignent qu’on leur demande de répondre à des normes (temps normal d’une consultation, d’une visite à un patient) qui ne prennent pas en compte la réalité des métiers du soin. Même chose pour les infirmiers et infirmières.

Cela met les soignants en porte-à-faux avec les exigences de leurs métiers et crée de l’anxiété, de l’impuissance, de la peur de faire des erreurs.

La politique du « lean management », qui vise à faire plus avec moins de budget, moins d’effectifs, moins de temps, s’est particulièrement fait ressentir sur la fonction publique hospitalière. Bien sûr que cela crée de l’absentéisme : au bout d’un moment, les agents craquent.

Constatez-vous ces mécanismes dans d’autres pans de la fonction publique ?

Oui, notamment au sein des collectivités territoriales [les agents de la fonction publique territoriale sont les deuxièmes les plus touchés par les arrêts pour cause de santé, avec 17 jours par an et par agents, ndlr.]

En travaillant sur ce terrain, on constate que les professionnels ont toujours le sentiment d’être en lutte contre l’administration qui les dirige pour pouvoir faire leur travail correctement, ce qui peut être douloureux et fatigant.

J’appelle ça la « précarité subjective » : des personnes qui ont un emploi stable et qui, pourtant, n’ont aucun sentiment de sérénité dans leur travail et qui sont sur le fil du rasoir, parfois avec un grand sentiment d’anxiété et de mal-être.

Par ailleurs, de nombreux métiers de la fonction publique sont des métiers de contact avec des patients, des parents d’élèves, des usagers. Or, il y a une telle insatisfaction du public de la fonction publique que ça retombe aussi sur ceux qui sont en première ligne, qui vivent de plus en plus de violences. Sans oublier que les contacts avec les usagers présentent aussi des risques de contaminations par des virus.

Lire la suite de l’article sur le site www.huffingtonpost.fr


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