Par Frédéric Chhum, Avocat et Annaelle Zerbib, Juriste
Le présent article synthétise la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de harcèlement sexuel.
Caractérisation du harcèlement sexuel, règles de preuve en la matière ou conséquences de sa dénonciation, la Cour de cassation a eu l’occasion en 2019/2020 de préciser le contour du harcèlement sexuel.
1) La relaxe pour défaut d’élément intentionnel du harcèlement sexuel par le juge pénal n’empêche pas nécessairement le juge civil d’admettre le harcèlement sexuel.
Cass. soc., 25 mars 2020, n°18-23682.
Dans l’arrêt du 25 mars 2020 (n° 18-23682), les faits évoqués étaient les suivants : une salariée, employée par la société en qualité d’assistance dentaire, a été engagée le 2 juillet 2012 et licenciée pour faute grave le 25 octobre 2013.
S’estimant victime de harcèlement sexuel, elle saisit la juridiction prud’homale le 12 octobre 2015, le jugement définitif du tribunal correctionnel relaxant l’employeur étant prononcé le 28 juillet 2016.
1.1. L’autorité de la chose jugée au pénal à l’égard du juge civil.
Lorsqu’un jugement correctionnel prononce une relaxe parce que la matérialité des faits de harcèlement sexuel et la culpabilité de celui ou celle auquel ils sont imputés ne sont pas établis, le juge civil ne peut retenir l’existence de ces faits.
Dans cet arrêt, la Cour de cassation affirme ainsi que « les décisions définitives des juridictions pénales statuant au fond sur l’action publique ont au civil autorité absolue, à l’égard de tous, en ce qui concerne ce qui a été nécessairement jugé quant à l’existence du fait incriminé, sa qualification et la culpabilité ou l’innocence de ceux auxquels le fait est imputé ».
1.2. Une solution différente lorsque la relaxe ne porte que sur l’élément intentionnel du harcèlement sexuel.
L’incrimination pénale du harcèlement sexuel [1] est sensiblement différente du harcèlement sexuel au travail [2].
Pour que le harcèlement sexuel soit constitué en droit pénal, il suppose l’existence d’un élément intentionnel.
A contrario, en droit du travail, l’élément intentionnel n’est pas nécessaire pour que le harcèlement soit constitué.
Ainsi, le jugement de relaxe fondé sur le seul défaut d’élément intentionnel du harcèlement sexuel n’empêche pas la caractérisation du harcèlement sexuel en droit du travail.
C’est en ce sens que la chambre sociale a tranché en l’espèce, le jugement de relaxe étant fondé sur le seul défaut d’élément intentionnel.
Or, « la caractérisation de faits de harcèlement sexuel en droit du travail, tels que définis à l’article L1153-1, 1°, du Code du travail, ne suppose pas l’existence d’un élément intentionnel ».
Ainsi, l’employeur relaxé des faits de harcèlement sexuel devant le juge pénal, la salariée peut tout de même être considérée comme victime de harcèlement sexuel devant le juge civil.
2) Pas de harcèlement sexuel en cas d’attitude ambigüe d’une salariée.
Cass. soc., 25 septembre 2019, n° 17-31171
L’article L1153-1 du Code du travail définit le harcèlement sexuel comme « constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ».
La Cour de cassation a répondu dans cet arrêt à la question de savoir si l’envoi de SMS à caractère pornographique de manière répétée par un manageur à sa subordonnée justifiait un licenciement pour faute grave et constituait des faits de harcèlement sexuel (v. également notre article « Harcèlement par sms pornographiques au travail : l’ambiguïté de la subordonnée disqualifie le harcèlement sexuel. »).
2.1. L’impact de l’attitude ambiguë d’une salariée sur la caractérisation du harcèlement sexuel.
Dans un arrêt du 25 septembre 2019 (n° 17-31171), la Cour de cassation s’est prononcée sur le cas d’une salariée alléguant avoir été victime de harcèlement sexuel en relevant pour rejeter sa demande qu’elle « avait répondu aux SMS du salarié, sans que l’on sache lequel d’entre eux avait pris l’initiative d’adresser le premier message ni qu’il soit démontré que ce dernier avait été invité à cesser tout envoi ».
De plus, la Cour de cassation évoque le fait que la salariée avait « adopté sur le lieu de travail à l’égard du salarié une attitude très familière de séduction ».
Les juges de cassation approuvent l’argumentation de la cour d’appel « qui a fait ressortir l’absence de toute pression grave ou de toute situation intimidante, hostile ou offensante à l’encontre de la salariée ».
Elle a ainsi justement déduit que « l’attitude ambiguë de cette dernière qui avait ainsi volontairement participé à un jeu de séduction réciproque excluait que les faits reprochés au salarié puissent être qualifiés de harcèlement sexuel ».
Le harcèlement sexuel avait déjà pu être écarté lorsque les faits « s’inscrivaient dans le cadre de relations de familiarités réciproques avec la personne qui s’en plaignait » [3].
A contrario, dans un arrêt du 20 février 2020, la Cour d’appel d’Orléans a pu considérer que « le seul fait unique établi, que Mme A C ait répondu sur la couleur de sa culotte à la demande de son collègue, ne saurait suffire à caractériser une attitude ambiguë de celle-ci qui aurait ainsi volontairement participé à un jeu de séduction réciproque excluant que les faits reprochés à son collègue puissent être qualifiés de harcèlement sexuel » [4].
Ainsi dans ce cas, le harcèlement sexuel était établi, l’attitude ambiguë n’étant pas caractérisée.
2.2. La non caractérisation du harcèlement sexuel n’est pas un obstacle au licenciement du salarié.
Le harcèlement sexuel non établi selon les juges, n’empêche pas l’employeur de notifier le licenciement disciplinaire du salarié.
La Cour de cassation admet ainsi le licenciement du salarié aux motifs qu’il avait « depuis son téléphone professionnel, de manière répétée et pendant deux ans, adressé à une salariée dont il avait fait la connaissance sur son lieu de travail et dont il était le supérieur hiérarchique, des SMS au contenu déplacé et pornographique, adoptant ainsi un comportement lui faisant perdre toute autorité et toute crédibilité dans l’exercice de sa fonction de direction et dès lors incompatible avec ses fonctions ».
La Haute juridiction affirme ainsi que « ces faits se rattachaient à la vie de l’entreprise et pouvaient justifier un licenciement disciplinaire ».
Néanmoins, la Cour de cassation considère que les faits « n’étaient pas constitutifs d’une faute grave rendant impossible maintien du salarié dans l’entreprise » et que la Cour d’appel a justement « décidé que ces faits constituaient une cause réelle et sérieuse de licenciement ».
Ainsi, le comportement de la salariée empêche le harcèlement sexuel d’être caractérisé mais n’empêche pas le salarié d’être licencié, si ce n’est pour faute grave, mais pour une cause réelle et sérieuse.
Notes :
[1] Article 222-33 du code pénal.
[2] Articles L. 1153-1 et suivants du code du travail.
[3] Cass. soc., 10 juillet 2013, n°12-11787.
[4] Cour d’appel d’Orléans, ch. sociale ch. des Prud’hommes, 20 février 2020, n° 17/02208.
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