Au CHU de Poitiers, le déni de la direction face au harcèlement des internes

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Des témoignages accablants d’internes en gynécologie-obstétrique au CHU de Poitiers font état de harcèlement moral par leurs supérieurs hiérarchiques. Après avoir tardé à prendre des mesures, la directrice générale Anne Costa cherche à sauver la face du service.

Dès sa nomination, le nouveau référent des internes de gynécologie-obstétrique a compris que le service du centre hospitalier universitaire (CHU) de Poitiers était un terrain miné. Très vite, il reçoit des alertes sur des dysfonctionnements existants, voire des maltraitances. Avec l’accord des internes du CHU, il informe le doyen de la faculté de médecine de Poitiers et le président de la commission médicale d’établissement (CME) du CHU. Ce dernier lui dit qu’il ne peut rien faire sans témoignages écrits. En novembre, il transmet à la direction de l’hôpital un document de quelque 50 pages. Les témoignages sont accablants.

Plus d’une trentaine d’internes du service de gynécologie, anciens ou actuels (mais aussi quelques infirmières, sages-femmes et médecins) racontent leur quotidien : humiliations publiques, insultes, menaces, harcèlement téléphonique, remarques blessantes répétées, manipulation. Les termes « humiliation », « harcèlement », « peur » et l’expression « avoir la boule au ventre » reviennent respectivement 27, 25, 32 et 15 fois. « J’allais en stage la boule au ventre tous les matins », rapporte l’un. « La gynécologie au CHU de Poitiers, c’est la pédagogie par la terreur et l’humiliation », dit l’autre. « Je recevais une avalanche de critiques, de menaces, de paroles glaçantes et rabaissantes dans le silence du bloc », « j’ai espéré avoir un accident de la route en allant au CHU », témoignent d’autres.

Des violences physiques sont également rapportées. Les noms du chef de pôle, du chef de service – également professeurs des universités –, de la chef de service de procréation médicalement assistée (PMA) et d’une jeune praticienne contractuelle sont cités. Des témoins, contactés par Mediapart, confirment l’ambiance, les attitudes et les paroles des supérieurs hiérarchiques. La gestion de ces faits présumés de harcèlement moral par la directrice générale de l’hôpital, Anne Costa, est aussi pointée. Cette dernière n’a pas souhaité répondre à nos sollicitations.

En prenant connaissance des témoignages, la directrice générale du CHU arrivée en janvier 2020 et la directrice des affaires médicales depuis le printemps 2018, et ancienne directrice des ressources humaines du CHU, se disent surprises. Dans un courriel interne, elles « ont demandé pourquoi [elles n’étaient] pas au courant d’une situation aussi grave ».

Pourtant, depuis 2013, les étudiants ont envoyé de multiples signaux d’alerte : rendez-vous avec la médecine du travail, signalements au doyen de la faculté et au président de la CME de l’époque, entretiens avec une psychologue du CHU. Les différents récits écrits et oraux font état d’une situation anormale connue de tous.

Un médecin du CHU l’affirme : « Il y a des problèmes de management dans d’autres CHU, mais ce service est connu dans toute la France pour être le pire» Une autre employée dénonce « vingt-cinq ans d’omerta » et une « reproduction de la maltraitance » où seuls les plus ambitieux et brutaux restent. Une analyse partagée par deux anciens salariés : « Les professeurs sélectionnent des profils de gens malsains et méchants. Les autres finissent par partir. » 

Un rapport de la médecine du travail sur l’année 2019, que Mediapart a pu consulter, pointe la responsabilité de la direction : « Certains sujets sont tabous au niveau de l’institution. […] Sans changement de politique institutionnelle pour la prévention de la santé au travail, sans implication forte des hiérarchies, nous continuerons de constater les conséquences délétères sur la santé en lien avec les conditions de travail. » 

Après avoir reçu le rapport, la direction convoque le chef de pôle et le chef de service gynécologie-obstétrique, et s’engage à contacter la médecine du travail. Une simple médiation est organisée en décembre entre les parties, menée par un ancien président de la CME et par une psychologue.

La solution paraît inadaptée au regard des faits dénoncés, qui relèvent du pénal. La direction assurera plus tard « ne pas avoir pensé » àfaire un signalement auprès du procureur de la République. Pas plus qu’elle ne pense à alerter l’agence régionale de santé (ARS) de Nouvelle-Aquitaine. Elle n’engage aucune procédure disciplinaire – procédure qualifiée par la suite de « très longue ».

Début février, la médecine du travail n’avait été ni avertie ni entendue par les deux médiateurs. D’après un courriel interne, la direction a affirmé ne pas pouvoir « prendre de mesures supplémentaires sans mettre le CHU en danger, qui [est] un centre de référence qui donn[e] satisfaction aux patients, et que toutes les personnes citées [sont] d’excellents médecins ».

Cet immobilisme a suscité l’incompréhension au sein du service. Faut-il attendre un suicide, s’inquiètent des internes ? «J’avais pensé qu’au vu de son expérience précédente à l’hôpital Pompidou [Paris XV– ndlr], Anne Costa s’alarmerait immédiatement en lisant les témoignages et qu’elle réagirait à la hauteur de la gravité des faits», confie un interne du CHU. En 2015, elle était directrice de l’hôpital européen George-Pompidou lorsque le cardiologue Jean-Louis Mégnien s’est suicidé sur son lieu de travail. Les méthodes de management de la chef d’établissement avaient été relevées et deux enquêtes pour harcèlement moral et homicide involontaire sont à ce jour ouvertes (lire ici, ici ou ).

Alors que la médiation est toujours en cours, l’ARS Nouvelle-Aquitaine se saisit de l’affaire et mène une inspection. Les 10 et 11 février, une commission de six membres indépendants auditionne une cinquantaine d’actuels et d’anciens salariés du service. Les premiers constats sont alarmants. Sans attendre les conclusions, l’ARS exige des mesures conservatoires auprès de la direction pour protéger les soignants, notamment les internes, le temps de l’inspection : retrait de leurs fonctions de chef de pôle et de chef de service pour deux des médecins visés – ce qui ne les empêche pas d’être praticiens hospitaliers et professeurs des universités au sein du service –, nomination d’un nouveau professeur des universités-praticien hospitalier (PUPH) qui fera office de médiateur permanent dans le service et mise en place d’une cellule d’écoute psychologique. 

Lire la suite, « La direction est au minimum incompétente, au maximum toxique », sur le site www.mediapart.fr

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