Au sein de la SNCF Nouvelle-Aquitaine, même les médecins du travail tirent la sonnette d'alarme sur le mal-être des agents

19 juillet 2019 | Stress Travail et Santé, Suicide Au Travail

Le bilan de santé de l’année 2018 de la SNCF Nouvelle-Aquitaine, que Le Populaire du Centre s’est procuré, liste les observations générales des médecins de l’entreprise sur la santé et l’état psychologique des agents. Il confirme le mal-être croissant des agents dont les témoignages tendent à décrire une situation à la « France Télécom ».

Première constatation : « Les consultations médicales ont augmenté […] de façon significative tout comme les arrêts maladie », pointe un responsable médical. Et d’expliquer le phénomène par « l’inquiétude [des agents] face à l’avenir », « le manque de transparence de la direction », « la mise en concurrence entre collègue […] difficilement acceptable et très mal vécue » et « la véritable souffrance » des personnes sans poste.
« Mal-être. » Au sein de l’entreprise ferroviaire, les mots semblent tabous. Mais le 13 juin dernier, la CGT Limoges a écrit à l’ensemble des élus locaux, haut-viennois et régionaux pour leur décrire ce que le syndicat cheminot appelle « la situation sanitaire catastrophique ». Soit 55 suicides en 2017. « Nous n’avons pas les chiffres pour 2018, ajoute la CGT, et une vingtaine de nos collègues se sont suicidés depuis janvier. » Les chiffres nationaux ne sont pas officiel, mais certains syndicats évoquent sans ménagement une situation « à la France Télécom».

« Conduites addictives »

Une référence au 35 suicides au cours des seules années 2008 et 2009 chez l’ancêtre d’Orange et au procès retentissant de ces derniers mois. « Aujourd’hui, à la SNCF, on est même au-delà », plaide Sylvain Bongrand, représentant SUD Rail.
Les « observations générales » des médecins du travail s’étalent sur les pages 61 à 70 du bilan annuel et pointent (page 66) « la médicalisation des symptômes pour certains » et « des conduites addictives pour d’autres ». Le rapport dévoile également le climat qui préside à certaines réorganisations, dont celles de l’ECT où des agents administratifs ont été contraints de « postuler sur leur propre poste ». « L’annonce, brutale, inattendue » avait créé « des tensions très fortes entre collègues ». Le délai d’attente était jugé « interminable », avant que le verdict ne tombe : au final, quatorze personnes s’étaient retrouvées sans poste.

Il ne s’agit pas d’un cas isolé. Laurent (*), justement, est travailleur handicapé. La direction lui a annoncé la suppression de son poste « au mois d’avril ». « Mon chef m’a convoqué et m’a dit qu’à mon retour de vacances, mon poste ne serait plus là. C’est assez violent. » Finalement, l’effet de la réorganisation a été « repoussé au 1er septembre », ajoute-t-il. Après 17 ans de boîte, Laurent qui travaille à la maintenance, s’est vu proposer « une rupture conventionnelle, deux ans de salaires » et de « rejoindre une boîte privée qui vend des billets », « pas du tout [son] métier », précise-t-il. « Ça ne fait pas grand-chose à l’arrivée », dit-il.
« Les agents nous signalent très souvent le sentiment de manquer d’informations et de visibilité sur l’avenir, l’impression de ne pas être considéré, alors même que l’affichage de l’entreprise claironne “bienveillance” », ajoute un médecin, dans le rapport. Comme un symbole de ce malaise : lors de la restructuration annoncée puis abandonnée du centre opérationnel (COP) de Limoges, les agents ne s’étaient pas mis en grève, mais en arrêt-maladie. Jusqu’au droit d’alerte déposé par les syndicats. Tout sauf un hasard : « On voulait faire reconnaître le mal-être, explique Stéphane, un agent de cette structure. Mais le côté médical est avéré. » Selon SUD, sept sur onze ont été reconnus en accident du travail.
« On peut de fait craindre un accroissement des avis d’inaptitudes conduisant au reclassement professionnel. Celui-ci qu’il fasse suite à un avis d’inaptitude ou à une réorganisation est de plus en plus problématique dans un territoire où les propositions de poste sont de plus en plus restreintes, suite aux restructurations, fermetures de gares, de lignes, au départs à la retraite non remplacés, à l’évolution des métiers… » Pas très rassurant.
En pointe sur cette réforme ferroviaire pour laquelle il a rencontré à plusieurs reprises les organisations syndicales, Jean-Baptiste Djebbari reconnaît que le contexte, « les deux grosses réformes avec énormément d’enjeux », pèse sur le climat. « C’est forcément anxiogène, analyse le parlementaire. Aucune entreprise ne connaît actuellement autant de changements. Mais je sais que la question du mal-être au travail est prise très au sérieux par la direction de l’entreprise. Il crée des dispositifs sur la mobilité volontaire, essaie de détecter très tôt les cas les plus difficiles. »

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