Évaluation de la performance : l’entretien annuel est-il dépassé ?

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Alors que la fin de l’année arrive à grands pas, voici venu avec ses gros sabots… l’entretien annuel. Tantôt redouté, tantôt bâclé, ce rendez-vous est de plus en plus critiqué, à tel point qu’il n’a désormais plus droit de cité dans certaines entreprises. Quelles sont les raisons qui poussent ces dernières à supprimer cette grand-messe annuelle ? À quoi ressemblent les alternatives à l’entretien annuel ? Et sont-elles efficaces ? On fait le point.

« Inutile » voire « contre-productif ». Lorsque Luc Bretones, notre expert en nouvelles gouvernances et membre du Lab, s’exprime à propos des entretiens individuels, il ne mâche pas ses mots. Pour lui, ce rendez-vous annuel renvoie à une « conception mécaniste » de l’entreprise, quand la réalité nous prouve qu’elle est un organisme vivant. « Le plus souvent, l’entretien individuel se réduit à une forme de remplissage d’outils RH, une corvée pour tous dénuée de sens », affirme-t-il. Et si vous demandez son avis à un autre de nos experts, Olivier Sibony, professeur de stratégie et auteur spécialiste de la décision, le constat est lui-aussi sans appel : « Qu’il s’agisse de ceux qui les animent ou ceux qui les reçoivent, personne n’aime les entretiens annuels. » Mais si tout le monde les abhorre, pourquoi les entretiens annuels demeurent-ils encore la norme ?

L’entretien annuel, une méthode qui a fait son temps ?

Un rendez-vous victime d’une confusion des genres

Avant toute chose, il est important de rappeler les deux objectifs fondamentaux de l’entretien annuel : d’un côté, le développement des compétences du collaborateur, et de l’autre, l’évaluation de sa performance afin de décider ou non de l’attribution d’une augmentation, un bonus, une promotion. Et c’est bien là que le bât blesse. « Comment voulez-vous que les collaborateurs soient réceptifs à une forme de coaching quand ils craignent dans le même temps d’être évalués avec toutes les conséquences potentielles que cela comporte, jusque parfois le licenciement », pointe Olivier Sibony. En somme, l’entretien annuel poursuit deux objectifs bien distincts et non compatibles, qui finissent par s’annihiler l’un l’autre.

Même analyse du côté de Luc Bretones qui souligne l’aspect très descendant de l’exercice, ne permettant pas de positionner les deux protagonistes sur un même pied d’égalité mais davantage dans une relation infantilisante pour le salarié. « Dans le meilleur des cas, le collaborateur sera félicité, mais le plus souvent, le manager profite de ce moment pour lui faire passer un message plus difficile, ce qui explique que l’exercice soit très stressant », regrette notre expert.

Une évaluation de la performance imparfaite

On l’a vu, l’un des deux objectifs majeurs de l’entretien individuel de fin d’année est de mesurer la performance du collaborateur. Le problème, c’est que l’évaluation de celle-ci se révèle très imparfaite si elle ne se fonde pas sur une forme de contrôle continu objectivé. D’abord, parce que l’être humain a la mémoire courte, et que le manager va donc naturellement se souvenir des deux derniers mois du collaborateur, et plus difficilement de sa performance antérieure. « Du coup, cela favorise la course à être le plus beau et le mieux coiffé sur la photo finish », ironise Luc Bretones.

Ensuite, parce que l’être humain (et donc le manager qui fait passer les entretiens individuels), est un être versatile, soumis à ses propres humeurs du jour, à la météo extérieure, à son coup de fatigue post-déjeuner… Bref, un ensemble de facteurs qui semblent tout-à-fait insignifiants, mais qui vont pourtant jouer sur le regard qu’il va porter à un instant T sur un collaborateur. C’est ce qu’Olivier Sibony nomme le « bruit ». Et les dégâts ne s’arrêtent pas là : les fameux biais entrent également en jeu, et ils sont tout à fait redoutables. Il est désormais de notoriété publique que les managers ont souvent une préférence pour les gens qui leur ressemblent (biais de favoritisme intragroupe).

Et que dire des biais de genre et stéréotypes qui ont encore la dent dure ? Olivier Sibony cite ainsi une étude menée chez un grand distributeur américain sur la base de 30 000 évaluations annuelles. Ces évaluations dissociaient la performance (basée sur des chiffres), du potentiel de l’individu (projection sur le développement futur du collaborateur, indépendante des chiffres). Dans cette étude, les femmes ont généralement affiché un taux de performance plus élevé que les hommes, mais on les a créditées de moins de potentiel. Pour en avoir le cœur net, les chercheuses ont étudié le potentiel des femmes de cette entreprise, en scrutant leurs résultats l’année suivante. Il s’est avéré… qu’elles continuaient à performer plus que les hommes ! CQFD.

Mais alors, faut-il bannir l’évaluation de la performance ?

Au regard des biais précédemment cités, on est en droit de se poser la question. Dans son entreprise Happy Kits fondée en 2016, Isabelle Cadoret a décidé de supprimer les entretiens annuels en s’éloignant du concept d’évaluation au sens classique du terme. « Pour moi, la notion d’évaluation n’est pas bienveillante. Je préfère mettre en place des points d’évolution réguliers », nous confie-t-elle.

Pour Olivier Sibony, il est effectivement difficile de définir les critères de performance, à moins que l’on décide de supprimer totalement l’intervention humaine dans le suivi des indicateurs, mais cela ne correspond pas à tous les métiers. « De plus, si l’on s’en tenait au respect d’une fiche de poste, les entreprises ne pourraient pas fonctionner », souligne-t-il. Car on attend par exemple d’un·e employé·e qu’il/elle soit en conformité avec la culture de l’entreprise (par essence intangible). On sait aussi que certains collaborateurs jouent un rôle important en créant du liant au sein des équipes, par leur jovialité et leur bonne humeur, leur capacité à fédérer, à accueillir les nouveaux arrivants. Mais tout cela ne figure pas dans leurs attributions primaires. Pourtant, n’est-ce pas tout aussi essentiel ?

Alors, si l’on est un poil jusqu’au boutiste, on pourrait imaginer renoncer à toute forme d’évaluation de la performance. Tout le monde serait payé de la même façon, les chefs seraient élus de manière collégiale. Dans les entreprises (très) libérées, cela peut exister, mais de manière extrêmement marginale. On se souvient par exemple de ce chef d’entreprise, outre-Atlantique, qui a décidé de diviser son propre salaire par 15 pour instaurer un salaire unique d’environ 5 200 euros bruts mensuels par mois dans son entreprise. Bien que la décision du CEO ait visiblement été motivée par l’envie de faire un gros coup médiatique et de régler d’autres affaires, reste qu’elle aurait visiblement porté ses fruits pour l’entreprise qui n’a cessé d’augmenter ses bénéfices depuis 2015.

Lire la suite, Quelles solutions pour sortir du traditionnel entretien annuel ? sur le site www.welcometothejungle.com


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