Intervention de Marie Pezé lors du VIe Congrès romand de la sécurité.
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Une frénésie s’est emparée de notre époque.
Jusqu’alors, tous les outils fabriqués par le travail de l’Homme avaient toujours visé le prolongement de nos capacités musculaires, sensorielles, intellectuelles : voir plus loin que nos yeux ne le peuvent, entendre plus loin que nos oreilles, atteindre plus loin que la longueur de nos bras, inventer des machines à calcul plus rapide que notre cerveau…pour faciliter nos vies.
Mais avec les nouvelles technologies, nous avons trouvé nos maîtres ! Nos outils nous ont kidnappés en retour et nous imposent leurs exploits : plus vite, toujours plus vite, en tout cas plus vite que la vitesse que le corps humain peut supporter et, surtout, maintenant, tout de suite, quand ce n’est pas pour avant-hier ! La fascination que ces outils exercent, leur emprise sur nos vies privées et professionnelles, sont sans égal.
Ah, ces restaurants aux clients rivés sur leur Smartphone, ces enfants scotchés à leurs jeux vidéo assis au milieu de jeux réels désaffectés, ces salariés branchés jour et nuit à l’intranet de leur entreprise ! Nous voilà tous hyper-connectés dans tous les secteurs de
notre vie, au travail aussi, la frontière entre notre vie privée et notre vie professionnelle étant du coup devenue totalement poreuse, si ce n’est même invisible. D’ailleurs, que ceux qui ici dans la salle n’ont pas leur portable à portée de main lèvent la main ?
Que ceux qui n’ont aucun problème de mémoire, de concentration, de logique lèvent la main aussi ?
Une frénésie s’est emparée de notre époque et donc aussi du monde du travail. Pour satisfaire une insatiable productivité, le rythme de travail s’est intensifié au-delà des limites du corps et du psychisme humain et nous vivons une vie d’athlètes de la quantité, sans répit, sans repos, prisonniers d’un train qui roule si vite que ceux qui sont dedans ne savent plus comment en descendre et ceux qui, au chômage, le voit passer, ne savent comment y monter. Voici la rançon de la nouvelle économie de marché.
La propagation du syndrome d’épuisement professionnel et la sur-utilisation de la notion de burn out ne doivent donc rien au hasard. Reflets des excès de l’époque, cet envahissement a des effets positifs et négatifs.
« Le burn out, dit Pascal Chabot, est une maladie de civilisation. Nous épuisons la terre, nous épuisons l’humain dans une course folle vers l’abime. » Nous vivons clairement au-dessus de nos moyens individuels physiques et psychologiques, au-dessus des moyens de notre planète Terre plus généralement…
Celui qui s’en sort dans les organisations actuelles du travail n’est ni le plus fort, ni le plus intelligent, mais le plus rapide. L’augmentation de la cadence des taches à accomplir est présente partout, dans tous les secteurs professionnels, à des niveaux d’intensification qui pulvérisent toutes les limites neurophysiologiques et biomécaniques.
Les effets de l’hyperactivité sur la santé sont connus : épuisement physique et psychique, troubles du sommeil, de l’éveil, de l’attention, de la concentration, de la mémoire. Troubles cardio-vasculaires, hypertension ou hypotension artérielle, accidents ischémiques transitoires, troubles du rythme. Accidents du travail, conduite addictive.
Du côté de l’étymologie, la sentence du Gaffiot est impitoyable. Addictus : esclave pour dette. Addictio : attribution de la personne du coupable ou d’une chose revendiquée par la sentence du prêteur. La contrainte du corps est au-devant de la scène.
Est-ce le travail qui nous fait courir ou bien, esclaves de la quantité1, sommes-nous condamnés structurellement à ces accélérations comportementales ?
Pour le clinicien du travail, la question de l’hyperactivité est importante.
– Soit la surcharge de travail et l’hyperactivité aliénante qui en découle sont d’origine organisationnelle. Les méthodes managériales utilisées orchestrent l’assujettissement des corps et des psychismes pour une productivité sans cesse accrue.
– Soit le sujet se shoote au travail comme d’autres à la drogue, pour calmer son vide intérieur ou son angoisse, et s’impose ses rythmes, ses exigences, ses objectifs, sans parvenir à diminuer une charge de travail qu’il juge pourtant excessive.
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