Ça en jette ! Après les avocats, bien d’autres professions ont jeté leurs outils au sol devant les « décideurs ». Ce que dit ce geste: nous ne céderons pas, parce qu’à travers notre travail c’est la vie qui est en jeu, la nôtre, et celle des personnes pour qui nous travaillons. Par Christine Castejon et Thomas Coutrot.
Christine Castejon (analyste du travail), Thomas Coutrot (économiste)
Ça en jette ! Après les avocats qui ont inauguré le geste à Caen, le 8 janvier, en jetant à terre leurs robes noires aux pieds de la ministre de la Justice, d’autres professions ont compris, soutenu et démultiplié la portée symbolique du « jeter d’outil ». Les soignants balancent leurs blouses blanches à l’hôpital Saint-Louis, à celui de Chinon ou de Corbeil-Essonne, à Clermont-Ferrand des salariés de l’aéronautique lancent leurs bleus de travail, ceux de Météo France à Toulouse jettent des parapluies, les égoutiers de la Ville de Paris des cuissardes, les enseignants des manuels, les inspecteurs du travail le Code du même nom, les artisans du Mobilier National leurs marteaux et rabots … Le geste est l’une des formes que prend une caractéristique de ce mouvement : mettre en avant son travail. Les voix du chœur de Radio France par le « Chœur des esclaves » interrompent les vœux hors sol de leur PDG Sybile Veil, les danseurs et l’orchestre de l’Opéra se produisent sur la place publique, des journalistes de radio France créent leur journal des luttes sur les ondes, des travailleurs du numérique inventent pour leurs collègues la mobilisation 2.0…
Pour l’un des avocats qui ont initié le mouvement, jeter la robe à terre « est une manière de dire que cela suffit ; que nous ne pouvons plus et ne pourrons plus exercer ce métier normalement » (cf. ce papier de Mathilde Goanec).
Il ne peut échapper à personne qu’un tel geste, en plein mouvement de grève et d’action contre une réforme du système de retraite – le moment où on largue ses outils ? -, a quelque chose de décalé qui fait précisément sa force : la pédagogie du gouvernement pour expliquer sa réforme est tellement à côté du réel qu’elle se heurte partout, comme à une évidence, au caractère insoutenable du travail. Comment accepter de travailler plus longtemps quand on s’égosille depuis des années à dire qu’il n’est plus possible de travailler de cette façon ? Les hospitaliers, les pompiers, les enseignants, les agents des EHPAD, les femmes de chambre des hôtels, et même les Gilets jaunes dénonçant la précarité et la désertion des services publics… toutes ces luttes de ces dernières années ont imposé sur la place publique la question du mauvais travail.
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