Nous avons fait lire à plusieurs experts la lettre bouleversante de Christine Renon, directrice d’une école maternelle de Pantin (93) qui s’est suicidée le 21 septembre dernier dans son établissement. Leur analyse est sans appel sur sa mission impossible.
C’est par ces mots que commence la lettre que Christine Renon, directrice d’une école maternelle à Pantin en Seine-Saint-Denis, a adressé à sa hiérarchie et à ses collègues avant de se suicider. Dans ce courrier de trois pages, largement diffusé sur les réseaux sociaux par les enseignants, Christine Renon décrit des conditions de travail particulièrement éprouvantes pour les directeurs d’école. Face à cette situation intenable, cette femme de 58 ans n’a malheureusement trouvé d’autre issue que celle de mettre fin à ses jours. «
A la lecture de cette lettre, on ne peut dire que Madame Renon présente un tableau de dépression en termes de psychopathologie », souligne Christophe Dejours, psychiatre et psychanalyste, balayant ainsi les arguments que pourrait avancer l’Éducation nationale pour expliquer ce geste. « Cette femme est en surcharge, elle essaye de se battre, de faire tout ce qu’elle peut et elle est obligée de constater que cela ne marche pas », poursuit-il. Sans les moyens nécessaires pour faire convenablement leur travail, les personnes peuvent éprouver un sentiment d’impuissance et de désespoir, voire d’incompétence, ce qui dégrade leur propre image d’elles-mêmes, selon ce spécialiste. Un effet particulièrement destructeur sur le plan psychique, notamment dans des métiers qui demandent un fort engagement comme ceux de l’enseignement. « Les personnes qui se suicident au travail sont toujours les personnes les plus engagées », précise Christophe Dejours.
« Ces petits riens qui occupent à 200 % notre journée »
De son côté, Dominique Cau-Bareille, maîtresse de conférences en ergonomie à l’université Lyon 2, relève une « intensification du travail très importante » pour les directeurs d’école. « Ce dont parle Madame Renon dans sa lettre est partagé par l’ensemble de ses collègues. Les tâches administratives, de reporting, de coordination sont chronophages ; on leur demande de plus en plus de choses », ajoute cette auteure de nombreuses recherches sur les enseignants. Tout un pan du travail, invisible car non prescrit, n’est pas reconnu par l’institution. « Les gestionnaires transmettent des objectifs mais ne veulent rien savoir du travail réel. Les contraintes s’ajoutent, les personnes ont l’impression de ne jamais atteindre ces objectifs », résume Christophe Dejours, pour qui ce tournant gestionnaire a affecté toute la fonction publique. Le flot incessant des réformes dans l’Éducation nationale transforme en profondeur le métier, déstabilisant les équipes.
« J’ai de la colère car les syndicats tirent la sonnette d’alarme depuis plusieurs années. Les enseignants ne se reconnaissent plus dans ce qu’on leur demande de faire. Et les directeurs d’école, qui restent des enseignants, sont les vecteurs des réformes et des injonctions multiples de l’institution », ajoute Dominique Cau-Bareille. Cécile Roaux, chercheure associée en sociologie au laboratoire Cerlis de l’université Paris Descartes et ancienne directrice d’école, pointe un sentiment de perte de sens et de manque de reconnaissance chez ses anciens collègues. « Passer des heures à remplir des états de cantine ou à répondre à des demandes administratives détourne des tâches essentielles, estime-t-elle. Les directeurs, dont la charge de travail s’est terriblement alourdie, se sentent bien trop souvent pris dans des contradictions inextricables. »
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