Tout ce mois d’août 2019, WUD est parti à la rencontre de ces médecins qui ont poussé un coup de gueule pour faire avancer le système en 2019.
Le 30 août, le professeur Philippe Halimi, président de l’association nationale Jean-Louis Megnien (ANJLM) qui vient en aide aux personnels hospitaliers harcelés et en souffrance (lire ici notre précédente interview) formulait des propositions pour réformer en profondeur notre système hospitalier public qui n’a jamais semblé autant sur le déclin.
What’s up Doc. Quel est votre regard actuel sur la situation de l’hôpital public ? En mars dernier, vous nous expliquiez dans une interview que la loi HPST est une loi scélérate, puisqu’elle accorde des pouvoirs exorbitants aux administrations, tandis qu’il n’y a plus de contre-pouvoirs. Selon vous, « le directeur d’établissement est devenu le chef d’une entreprise que l’on appelle l’hôpital public »…
Philippe Halimi. Il ne faudrait pas que l’on s’imagine que le problème de l’hôpital public ne réside que dans l’encombrement des urgences, le fonctionnement de l’hôpital public est de plus en plus insatisfaisant. L’association nationale Jean-Louis Megnien (ANJLM) constate le mal-être généralisé des personnels de soins. Nous essayons donc d’agir pour corriger cette vision d’une administration hospitalière qui a les pleins pouvoirs, et dont la préoccupation principale est de faire des économies. On regroupe des établissements en dépit du bon sens, toujours dans l’opacité la plus totale, la plupart du temps sans concertation avec les personnels qui sont sur le terrain. Sur ce terreau-là, les conflits interindividuels explosent, et l’administration s’en sert pour accentuer son emprise et donner perpétuellement des gages à la hiérarchie, même lorsqu’elle maltraite.
Les jeunes médecins n’envisagent plus de faire leur carrière au sein de l’hôpital public
Ce qui nous préoccupe, c’est que l’on continue à assister dans les hôpitaux publics à des départs massifs de médecins, de chirurgiens, d’infirmiers, de cadres. Ce sont souvent les meilleurs, qui n’acceptent plus de voir se dégrader leurs conditions de travail, avec souvent un risque qu’ils estiment majoré, d’altérer la qualité des soins. Donc, que font-ils ? Ils alimentent le secteur libéral qui récupère ces personnels dégoûtés par le secteur public, alors que ce n’était pas leur choix initial d’exercice. Et pourtant, initialement, ils fondaient beaucoup d’espoir dans le fait d’exercer à l’hôpital public ; cette incapacité à conserver dans la durée ses personnels est inquiétante. Parallèlement à ces départs massifs, on voit qu’il y a un défaut d’attractivité de plus en plus prononcé pour les jeunes médecins qui n’envisagent plus de faire leur carrière au sein de l’hôpital public. Nous essayons de convaincre les instances politiques de la nécessité d’inverser cette spirale descendante, malheureusement pour le moment sans résultat tangible : le pouvoir politique est frileux, tarde à agir, alors qu’il est maintenant informé de la gravité de la situation.
Nous ne sommes plus très loin du point de non-retour
Or, en l’absence d’une intervention rapide des pouvoirs publics, il ne sera plus possible de freiner le déclin de notre système hospitalier. Les patients eux-mêmes prennent conscience de ce déclin ; ils constatent une baisse de la qualité des soins dont témoignent les derniers baromètres de sondage (Odoxa) avec une insatisfaction multipliée par deux et demi en seulement trois ans, chez les patients de l’hôpital. Ils finiront par se détourner de l’hôpital public. Cela risque de devenir irréversible, nous ne sommes plus très loin de ce point de non retour qui peut faire basculer notre système de santé vers une vision purement libérale avec des pans entiers de pathologies prises en charge préférentiellement par le secteur privé. Si cette vision se réalise, l’hôpital public se limitera à prendre en charge ce dont la médecine libérale ne voudra pas, pour des raisons de défaut de rentabilité : les patients âgés, les polypathologies… C’est déjà ce qui s’est passé avec la dépendance des personnes âgées que l’État a offert sur un plateau aux mutuelles, aux gros groupes privés pour le malheur des familles qui observent un décalage entre tarifs prohibitifs, voire inaccessibles, et qualité médiocre de la prestation de soins, qui n’obéit qu’à des objectifs de rentabilité.
Corriger les excès de la loi HPST
WUD. Quelles solutions proposez-vous pour relancer le système hospitalier ?
P.H. Tout d’abord, il faut le modifier en profondeur, corriger les excès de la loi HPST en redonnant du souffle, de l’espoir et des responsabilités aux personnels de soins. C’est le savoir-faire métier des professionnels de santé qu’on doit laisser s’exprimer, tendu vers un seul et même objectif de qualité des soins alors qu’on a volontairement cassé cette dynamique. Il faut restaurer cette confiance, les écouter, les respecter, les rendre maître de leurs destins de soignants plutôt que de les empêcher d’exercer leurs fonctions en toute sécurité ou de les déplacer comme des pions. Les personnels, c’est avant tout notre richesse au lieu d’être perçus par l’administration comme une charge financière qu’il faut à tout prix réduire, même au prix de dégâts collatéraux. L’administration considère souvent les personnels comme quantité négligeable, à tel point qu’en cas de réorganisation, plutôt que d’interroger les gens qui sont sur le terrain, on va systématiquement lancer des audits très coûteux. Cette gabegie financière secondaire à la multiplication d’audits inutiles laisse perplexe, alors que l’on nous serine qu’il n’y a plus d’argent.
L’hôpital est le parent pauvre de Ma Santé 2019-2022
La loi récemment adoptée – Ma Santé 2019-2022 – n’a pas pris de mesures pour corriger ce déséquilibre des pouvoirs au sein de l’hôpital au détriment des personnels de soins. Cette fenêtre d’opportunité n’a pas été saisie. On peut même dire que l’hôpital est le parent pauvre de cette loi. On n’a pas du tout pris en compte son déclin organisationnel et qualitatif. Au mieux, on s’en remet à des ordonnances dont on ne sait pas par qui elles seront rédigées et quand… Nous aurions préféré que ce soit la représentation nationale qui se saisisse de cette loi et la complète, notamment sur le versant de l’hôpital qui doit rester le poumon de notre système de santé. Il n’y a pas eu de discussions sérieuses que ce soit au Sénat ou à l’Assemblée nationale. Nous avons perdu une bataille, mais nous ne baissons pas pavillon. Nous nous emploierons inlassablement à essayer de convaincre le politique de l’urgence qu’il y a à réformer en profondeur la gouvernance hospitalière.
Les harceleurs agissent en toute impunité
WUD. Quelles autres mesures proposez-vous pour relancer le système ?
P.H. Le harcèlement continue à être un des fléaux du fonctionnement interne de l’hôpital, résultant de la verticalité des pouvoirs. Nous prônons une tolérance zéro vis-à-vis des comportements maltraitants. Pas uniquement en théorie, mais aussi dans les faits. Aujourd’hui, on élabore des chartes de bientraitance que l’on n’a pas l’intention d’appliquer. C’est uniquement de l’affichage. Or, sanctionner des comportements maltraitants ne coûte pas d’argent. Il faut simplement en avoir la volonté. De plus, cela a valeur d’exemplarité et de frein pour ceux et celles qui seraient éventuellement tentés d’assouvir des comportements déviants. On se doit de rappeler que le harcèlement moral est un délit. Actuellement, les harceleurs agissent en toute impunité à l’hôpital public. Ils sont même parfois promus, quand la justice les condamne. La gouvernance hospitalière actuelle n’accorde pas suffisamment d’importance à ce sujet. Elle ne tient pas compte des réalités de terrain, elle s’appuie sur une hiérarchie médico-administrative qui est, la plupart du temps, complice et passive. Et cette administration va demander à sa hiérarchie d’appliquer sans états d’âme des consignes qui ont été décidées dans un bureau, sans aucune concertation, en fonction de critères purement comptables.
Les sanctions sont pour nous le cœur du problème
Quelles en sont les conséquences ? Ces mesures sont parfois délétères pour les personnels de soins et, bien entendu, pour les patients. Il y a un certain nombre de directeurs et de responsables médicaux qui ont été condamnés par la justice, de façon définitive, mais qui n’ont eu aucune sanction administrative. Pire, certains ont pu continuer à être promus… On ne tient pas compte des décisions de justice. Les sanctions sont pour nous le cœur du problème. Actuellement, on donne un très mauvais signal à la hiérarchie médicale, à la hiérarchie du personnel de soins et à la hiérarchie administrative. Le message émanant de la technostructure (directions locales, ARS, CNG, DGOS, cabinet du ministère de la Santé quand il décide d’ignorer nos alertes…) est le suivant : « allez-y, on vous couvre tant que vous faites appliquer les consignes qui ont été décidées en haut ». Et attention à celui qui n’obéit pas ou se plaint… En France, on est censé protéger les lanceurs d’alerte, sauf qu’à l’hôpital on les réprime. L’hôpital public est devenu contre-nature, une structure déshumanisée et violente. Et, malheureusement, l’État de droit n’est pas toujours respecté.
L’hôpital est véritablement asphyxié par des années successives de restriction budgétaire.
…
Lire la suite sur le site www.whatsupdoc-lemag.fr