Réinventer le travail

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Les conflits en cours autour de la nouvelle loi sur le travail ont déjà fait couler beaucoup d’encre, et ce n’est pas fini. Il est vrai que le blocage suicidaire, notre sport national, remporte là un nouveau trophée. D’un côté, il est indispensable de desserrer le carcan juridique pour que reparte l’embauche en France. De l’autre, il devient urgent de se mobiliser pour enterrer illico cette réforme ou, ce qui revient au même, la vider de tout contenu. Au lieu d’ajouter un commentaire de plus sur ce gâchis, il peut être utile d’attirer l’attention sur une difficulté moins visible – plus philosophique en un sens – mais lourde de conséquences pratiques : nous ne savons plus clairement ce que « travailler » signifie. C’était net, autrefois. Ça ne l’est plus. Il faut donc esquisser comment cette notion s’est brouillée, et par quelles voies il serait possible de la réinventer.

Pour les hommes de l’Antiquité, le travail était une affaire d’esclaves, parce qu’il était considéré comme avilissant par nature. Aristote insiste sur la part incontournable d’efforts, nécessaire à notre survie. Mais elle lui paraît dégradante, car elle pèse sur notre existence comme un fardeau. Dans une société dépourvue de moteurs et de machines, la force musculaire, animale ou humaine, demeurait pratiquement le seul moyen de transformer les matériaux naturels. Insuppressible, ce labeur était jugé ignoble, parce qu’idéalement un homme libre et digne ne devait se consacrer qu’au loisir de vivre – penser, exercer son corps – sans se soucier de « produire » sous la contrainte.

L’âge classique et les temps modernes ont totalement inversé ces jugements négatifs. Le travail y est devenu l’expression la plus concrète de ce qui forge l’humanité même, le signe de sa fierté la plus essentielle. Avec Kant, et plus encore Hegel, puis Marx, il devint évident que c’est en transformant le monde par son activité que l’humain se révèle à lui-même et accomplit son destin. Figure de l’oppression pour les Anciens, le travail s’est transformé en vecteur d’émancipation aux yeux des Modernes. Il ne constituait plus seulement une nécessité, il devint honneur, vertu, indice fondamental de dignité. Miroir de l’humain, même s’il était déformé et terni par l’exploitation et l’aliénation, le travail pouvait renvoyer une image nette et forte de notre visage authentique.

Ce n’est plus le cas depuis longtemps. Sous mille formes, un même sentiment d’absurdité s’est installé : nous ne savons plus clairement ce que nous faisons quand nous travaillons. Nous cherchons en vain pour quelle raison et dans quel but nous nous agitons tant. Le sens s’est perdu, dit-on. Pourquoi ? Dans la longue liste des causes, j’en retiens une rarement soulignée, qui me paraît centrale : le décalage entre l’amoindrissement du travail réel et la représentation qu’on persiste à s’en faire. Dans les faits, l’automatisation croissante des tâches – numérisation, robotisation et compagnie – diminue inéluctablement la quantité de travail humain requis. Ce travail supprimé n’est pas compensé ni remplacé par d’autres tâches – maintenance, conception – sauf à la marge. Dans les sociétés développées, et à terme dans l’économie mondiale, il y a donc de moins en moins de travail nécessaire.

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