En octobre dernier [2022], le décès d’une magistrate en pleine audience à Nanterre a suscité une forte émotion dans le monde judiciaire. Au sein de ce dernier, depuis plusieurs années, les magistrat·e·s ont exprimé des formes de souffrance au travail, à travers des prises de parole publiques et des interventions sur les réseaux sociaux jusqu’à une tribune publiée en novembre 2021.
À partir d’une enquête par questionnaire et par entretien qui a donné lieu à la publication d’un ouvrage, nous présentons d’abord comment s’est construit le problème des conditions de travail dans la magistrature. Nous décrivons ensuite ces difficultés d’une manière générale, avant d’en montrer les variations en proposant une typologie des situations de travail des magistrat·e·s.
Des alertes répétées
Depuis une dizaine d’années, les organisations syndicales alertent le ministère de la Justice et l’opinion sur leurs conditions de travail. Dès février 2015, l’Union Syndicale des Magistrats publie un (second) « livre blanc », qui fait suite à un premier, publié en 2010 consacré d’une manière plus générale à « l’état de la justice ». Ce dernier dressait déjà un bilan très négatif de la situation des tribunaux et de la magistrature, même si Michèle Alliot-Marie, la ministre de la Justice de l’époque, avait jugé les conclusions « ridicules ».
Afin de mesurer la difficulté des conditions de travail, le Syndicat de la magistrature (SM) a envoyé en 2018 à l’ensemble des membres du corps un questionnaire, dont les résultats paraissent en 2019.
La constitution de cette souffrance en problème public atteint son paroxysme dans la tribune évoquée en introduction, signée d’abord par plus de 3000 magistrat·e·s et fonctionnaires de greffe. Montrant en quoi le suicide d’une juge placée de 29 ans dans le nord de la France a des causes professionnelles, les auteurs concluent que « [la] justice souffre de cette logique de rationalisation qui déshumanise […] ».
Cette montée en généralité ne doit pas faire oublier la réalité quotidienne de ces conditions de travail, sur laquelle il est nécessaire de revenir le plus précisément possible.
Un débordement généralisé
Notre enquête montre en premier lieu la prévalence du « débordement » du travail. Hors périodes d’astreinte et de permanence, plus de 40 % des magistrats ayant répondu à notre questionnaire disent travailler en soirée au moins plusieurs fois par semaine ; 72 % affirment ne pas réussir à prendre l’ensemble de leurs congés, et près de 80 % déclarent travailler le week-end au moins une fois par mois.
La magistrature s’inscrit ainsi dans la catégorie plus générale des cadres, qui, selon la dernière enquête de l’Insee, en 2021, sont 36 % à avoir déclaré travailler au moins une fois le soir (contre 23 % pour l’ensemble des salariés), 29 % le samedi et 16 % le dimanche.
L’analyse des entretiens montre que ce débordement est composé de deux éléments. En premier lieu, le temps du soir et du week-end est consacré à « écluser » (prendre une décision, formuler une proposition de jugement, etc.). De fait, le travail semble ne jamais s’arrêter, du côté du siège comme du parquet (les magistrats du siège – les juges – sont chargés de dire le droit en rendant des décisions de justice. Les magistrats du parquet – les procureurs – ont pour fonction de requérir l’application de la loi. Ils défendent l’intérêt public et sont partis au procès) : les dossiers s’accumulent, et la « pile » est toujours renouvelée.
Le débordement du temps de travail rend possible par ailleurs l’activité de la réflexion longue et de la rédaction. Rédiger les jugements nécessite de se soustraire aux urgences. Pour les magistrats·e·s du siège, les moments ouvrés de la semaine sont souvent ceux des audiences qui se prolongent ou se succèdent, et seuls les soirs, les week-ends ou les congés permettent cette prise de distance.
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