INTERVIEW Carole Damiani, directrice de Paris Aide aux Victimes et docteure en psychologie, coordonne la cellule d’aide mise en place tout au long du procès France Télécom
Depuis près de deux mois, ils se relaient sur les bancs de la 31e chambre du tribunal correctionnel de Paris. Avec l’ouverture du procès de sept anciens dirigeants de France Télécom, ex-salariés ou proches d’employés décédés ont entamé une étape majeure de leur bataille judiciaire. Pour les accompagner, une cellule de soutien psychologique pilotée par l’association Paris Aide aux victimes a été mise place.
Car loin de réparer, le procès peut parfois rouvrir des plaies chez certaines victimes. Carole Damiani, docteure en psychologie et directrice de l’association, insiste sur la portée sociale de l’audience, et alerte sur les risques de déception quand les attentes thérapeutiques sont trop importantes.
En quoi consiste le dispositif de soutien psychologique mis en place pour le procès France Télécom ? Y a-t-il des spécificités ?
Il y a eu une adaptation mais l’équipe de psychologues – composée d’une dizaine de professionnels – est évidemment formée pour répondre aux questions liées à l’épuisement professionnel ou à la souffrance au travail. Il y a tout un travail en amont du procès. D’abord, nous avons un briefing obligatoire opérationnel avec les greffiers, les magistrats. Ensuite, on travaille avec l’équipe pour savoir combien de psychologues nous allons déployer en fonction du nombre de parties civiles et à quel moment. Puis nous rencontrons les victimes et nous organisons une visite de la salle d’audience, on leur explique à quelle heure elles peuvent venir, où elles peuvent s’installer.
Ça peut sembler anecdotique mais c’est très important de connaître les conditions dans lesquelles va se dérouler le procès. Ensuite, pendant le procès, les personnes qui le souhaitent peuvent solliciter les psychologues sur place au tribunal pour un échange informel ou pour des entretiens plus confidentiels. Dans le cas de France Télécom, une trentaine de victimes ont déjà fait appel à nous.
Est-ce que le fait que le procès France Télécom se déroule près de dix ans après la vague de suicides change quelque chose pour les victimes ?
Oui, c’est différent. Aujourd’hui on constate que certaines parties civiles sont à la retraite, d’autres ont changé de travail, se sont reconverties, elles ont un certain recul sur les choses, elles ne sont plus dans une réaction « à chaud ». Mais ce n’est évidemment pas le cas de tout le monde. Même dix ans après, certaines victimes vont avoir besoin d’un accompagnement parce qu’elles n’ont pas tout réglé d’un point de vue thérapeutique. Tout cela diffère d’un individu à l’autre.
La plupart des avocats mettent souvent en garde les parties civiles qu’ils défendent : un procès répare rarement. Qu’en pensez-vous ?
C’est vrai, un procès a une visée sociale, il n’est pas fait pour réparer mais pour sanctionner éventuellement un auteur. Un procès, ce n’est pas fait pour les victimes mais pour les auteurs même si bien souvent elles ont des attentes. Mais ce n’est pas thérapeutique, la thérapie, c’est quelque chose de très intime. Quand une victime va mal avant le procès, elle ira mal après le procès. Même si ce n’est pas toujours simple, on peut l’envisager comme une étape dans le processus thérapeutique mais pas comme une solution.
Y a-t-il des séquences où vous intervenez plus spécifiquement auprès des victimes ?
Au tout début oui, c’est important, on va les voir régulièrement. On peut les accompagner aussi avant leur témoignage ou leur déposition. Et au moment des interrogatoires des prévenus ou des accusés. Quand les personnes jugées nient les faits, ou disent « je n’y suis pour rien, ce n’est pas moi », ça peut être très mal vécu par les victimes. L’étape des plaidoiries et des réquisitions est un autre moment clé pendant lesquels nous sommes plus susceptibles d’intervenir. Dans le cas de France Télécom, la technicité des débats génère de la souffrance pour certains. Ça ne les intéresse pas et elles ne se sentent pas toujours considérées.
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