Surtravail : quand on aime, on ne compte pas

Mise à jour le 22 avril 2024 | Stress Travail et Santé

Plus qu’un choix individuel ou simplement pathologique, le surtravail est une tendance déterminée par des facteurs économiques et sociaux.

Avec

  • Lucie Goussard Maîtresse de conférences en sociologie à l’Université Evry-Paris Saclay, chercheuse au Centre Pierre Naville
  • Marc Loriol Sociologue, directeur de recherches au CNRS et chercheur à l’IDHES Paris 1

En France, plus de 10 % de la population active a travaillé quarante-neuf heures ou plus par semaine en 2022, indique Eurostat. En Europe, seules la Grèce et l’Islande ont fait davantage. D’après les données du ministère du Travail, les catégories socioprofessionnelles qui ont le plus long temps de travail hebdomadaire moyen en 2019 sont respectivement les agriculteurs exploitants (58, 4 heures), les artisans, commerçants et chefs d’entreprise (50 heures) et les cadres et professions intellectuelles supérieures (43, 5 heures).

Longtemps, on a considéré que les deux premières catégories ne travaillaient que pour des raisons de contraintes économiques fortes (horaires variables et extensibles, nécessité d’investissement total),

Marc Loriol ajoute :

« les paysans ont toujours beaucoup travaillé. Mais alors que le temps de travail a très progressivement diminué depuis la fin du 19e siècle pour les ouvriers et les employés, il est resté très élevé dans le monde agricole. D’une part, le travail agricole est soumis aux aléas climatiques. D’autre part, la modernisation de l’agriculture et les gains de productivité n’ont pas réduit la charge de travail, car le nombre d’agriculteurs exploitants et de salariés agricoles s’est effondré (de cinq millions en 1956 à 759 000 en 2020) tandis que la production globale augmentait. Mais au-delà de ces raisons pratiques, l’engagement des agriculteurs est aussi d’ordre symbolique et culturel. L’attachement à la terre possédée, la volonté de préserver voire d’agrandir le patrimoine familial, constituent des incitations fortes à l’endettement et au surtravail. Le film « La Ferme des Bertrand » illustre bien le sacrifice d’une vie pour maintenir l’entreprise familiale ».

Par ailleurs, les études consacrées au surtravail avaient tendance à se limiter à l’étude de la catégorie socioprofessionnelle des cadres. De plus, la question n’a été principalement abordée par la recherche que dans le cadre de la psychologie : le “surtravail” n’était réduit qu’à une pathologie, résultant de choix ou de prédispositions individuelles.

Toutefois, réduire le surengagement dans le travail à une pathologie individuelle (qui a des effets considérables sur la santé et sur l’équilibre personnel) tend à omettre certains facteurs sociaux, économiques, hiérarchiques et surtout organisationnels du monde du travail.

Lucie Goussard nous explique :

« au sein des métiers de cadre, on voit se multiplier des fonctionnements organisationnels dits “par projets”. Cette forme d’organisation du travail a émergé dans les années 1990 en France et est aujourd’hui déployée dans la plupart des secteurs économiques. Elle se caractérise par un basculement du système hiérarchique vers un organigramme à deux dimensions qui introduit un mode de pilotage des tâches horizontal. Elle implique ainsi la figure d’un chef de projet qui dirige une équipe de travail pluridisciplinaire réunie autour d’une activité à réaliser en un temps court. Cette organisation s’accompagne d’une rhétorique selon laquelle elle générerait plus de liberté opérationnelle, plus d’autonomie, et une responsabilisation accrue des salariés« .

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