Les travailleurs loyaux sont ironiquement ciblés de manière sélective pour être exploités

Mise à jour le 18 septembre 2023 | Stress Travail et Santé

Introduction à l’article extrait du Journal of Experimental Social Psychology Volume 106, May 2023, « Loyal workers are selectively and ironically targeted for exploitation », traduit par Michaël Prieux.

La loyauté est souvent présentée comme un principe moral, ou une vertu, qui mérite d’être montrée en exemple dans les relations sociales et commerciales. Mais est-il toujours bénéfique d’être loyal ? Nous étudions les conséquences négatives possibles du fait d’être un employé loyal sur le lieu de travail. Au lieu de les protéger ou de les récompenser, les employés fidèles sont, de façon ironique, ciblés de manière sélective par les managers dans le but de leur demander de faire « plus » (études 1 et 2). Le ciblage de ces travailleurs repose sur l’hypothèse selon laquelle les individus loyaux sont prêts à faire des sacrifices personnels pour les objets de leur loyauté (étude 1). Nous trouvons ensuite des preuves du cheminement causal inverse : les travailleurs qui acceptent (plutôt que refusent) d’être exploités sur leur lieu de travail acquièrent une réputation de loyauté plus forte (études 3 et 4). Ces liens causaux bidirectionnels entre loyauté et exploitation peuvent potentiellement créer un cercle vicieux de souffrance. Nous discutons des implications de ces résultats pour l’obtention d’une réputation de loyauté.

Introduction

La loyauté est un principe moral fondamental, ou une vertu, que les gens valorisent habituellement et aspirent à incarner dans leurs relations sociales et commerciales (Altman, 2008 ; Coughlan, 2005 ; Fiske, 1991, Fiske, 1992 ; Graham et al., 2011, Graham et al., 2013, Graham et al., 2018 ; Haidt et Graham, 2007 ; Haidt et Joseph, 2007 ; Reichheld, Markey Jr et Hopton, 2000 ; Shweder, Much, Mahapatra et Park, 1997 ; Souryal et McKay, 1996. ; Van Kenhove, De Wulf et Steenhaut, 2003).

Ceux qui font preuve de loyauté envers leur pays, leur famille, leur entreprise, leurs organisations religieuses, leurs équipes sportives et autres groupes, sont vénérés publiquement (au moins parmi les membres de leur propre groupe), et la valeur accordée à la loyauté est soulignée dans les serments d’allégeance nationaux, les devises ou hymnes militaires et du monde des affaires, dans les cérémonies de récompenses littéraires et cinématographiques, et dans les codes de conduite (Coleman, 2009 ; Connor, 2007 ; Hildreth, Gino et Bazerman, 2016 ; Kruger, 2021 ; Reichheld et Teal, 2001 ; Souryal et McKay, 1996). Les individus ayant une réputation de loyauté (par rapport à ceux qui n’en ont pas) sont considérés comme de meilleurs amis (Shaw, DeScioli, Barakzai et Kurzban, 2017), de meilleurs employés (Hirschman, 1970 ; McGinley et Shi, 2022) et de meilleurs dirigeants (Fehr, Yam et Dang, 2015).

La loyauté peut également faciliter les comportements prosociaux en encourageant les personnes à aider les autres au sein de leur organisation et de leur communauté, et elle peut favoriser la confiance et la coopération entre les membres du groupe pour atteindre des objectifs communs (Graham et al., 2011 ; Hirschman, 1970 ; Powers, 2000 ; Reichheld et Sarcelle, 2001 ; Rosanas et Velilla, 2003). En revanche, la déloyauté a tendance à susciter le dégoût, le mépris et l’indignation morale chez les observateurs, nuisant souvent aux réputations personnelles et professionnelles (Baumeister et Leary, 1995 ; Haidt, 2003 ; McManus, Kleiman-Weiner et Young, 2020 ; Rousseau, 2001 ; Rozin, Lowery, Imada et Haidt, 1999).

Des décennies de recherche dans les domaines du comportement organisationnel, de la psychologie, de la biologie évolutionniste et de l’éthique des affaires ont identifié de nombreux résultats positifs de la loyauté et négatifs de la déloyauté (Berry, Lewis Jr et Sowden, 2021; Haidt, 2003 ; Hirschman, 1970 ; Kruger , 2021 ; Powers, 2000 ; Reichheld et Teal, 2001 ; Rosanas et Velilla, 2003 ; Sinn et Hayes, 2017 ; Van Kenhove et al., 2003). Mais la loyauté est-elle toujours bénéfique ? Bien que les gens aient tendance à considérer la loyauté comme une vertu morale, il est possible que les personnes loyales soient ciblées de manière disproportionnée (et ironiquement) par des pratiques de gestion potentiellement dangereuses et injustes sur le lieu de travail contemporain. En employant des méthodes et des concepts complémentaires, nous étudions si, et pourquoi, la loyauté pourrait entraîner des conséquences délétères pour ceux qui le sont. Plus spécifiquement, nous étudions d’abord si les travailleurs qui ont une réputation de loyauté sont perçus comme plus facilement exploitables, car les individus loyaux sont censés faire des sacrifices personnels pour les objets de leur loyauté. Nous étudions ensuite si les employés qui acceptent de mauvais traitements renforcent leur réputation de loyauté. Si les travailleurs sont perçus comme plus exploitables en raison de leur réputation de loyauté, et si le fait d’accepter un mauvais traitement renforce cette réputation, ces relations causales bidirectionnelles peuvent potentiellement créer un cercle vicieux de souffrance pour certains travailleurs.

Télécharger l’intégralité de l’introduction

Lire l’article en anglais

A lire dans le magazine

Soigner le travail

La chronique philo de Cynthia Fleury publiée le 23 octobre 2024. Une enquête récente de l’Ifop sur...

Réseaux Sociaux

Suivez-nous sur les réseaux sociaux pour des infos spéciales ou échanger avec les membres de la communauté.

Aidez-nous

Le site Souffrance et Travail est maintenu par l’association DCTH ainsi qu’une équipe bénévole. Vous pouvez nous aider à continuer notre travail.