Souffrance au travail. La chercheuse, qui a suivi la crise chez l’opérateur de télécommunications, constate que les fondements managériaux perdurent dans le privé comme dans le public et que la bataille contre le burn-out est loin d’être gagnée. Entretien.
Vous avez fait partie de l’Observatoire du stress et des mobilités forcées dès sa création en 2007 chez France Télécom. Qu’avez-vous constaté à l’époque?
Danièle Linhart : J’avais été contactée par des syndicalistes de SUD et de la CFE-CGC, confrontés à un grand malaise dans l’entreprise, pour essayer de comprendre ce qui se passait. Les éléments objectifs étaient connus?: le plan Next et les 22?000 postes à supprimer. Mais quels étaient les mécanismes?? Comment arrive-t-on à déstabiliser à ce point ces individus?? Auparavant, France Télécom était réputée pour ses prouesses technologiques, il y avait une fierté à travailler là. Et, brutalement, cette société a pris un virage commercial. Une entreprise publique est passée au management du privé. Mais comment faire pour que les fonctionnaires aient envie de partir?? Cette réponse a été trouvée par l’encadrement?: les mettre suffisamment mal à l’aise pour qu’ils comprennent qu’ils n’ont plus leur place. Dans la seconde moitié des années 1990, j’avais assisté à un séminaire de cadres et l’un d’entre eux m’avait confié?: «?Vous savez ce qu’est mon travail?? Je suis là pour produire de l’amnésie. Pour que les agents oublient leurs valeurs professionnelles et de service public.?» J’ai demandé?: «?Comment fait-on pour produire de l’amnésie???» «?C’est simple, m’a-t-il expliqué, on bouge tout, tout le temps, on casse les habitudes de travail.?»
France Télécom a-t-elle été un funeste terrain d’expérimentations managériales?
Danièle Linhart L’entreprise a été un laboratoire du changement permanent, technique qu’on observe dans le secteur privé dès les années 1990, avec des restructurations, des mobilités… Objectivement, les fonctionnaires étaient relativement protégés. Mais il s’agissait subjectivement de les mettre en état d’anxiété et de vulnérabilité. C’est ce que j’appelle la précarisation subjective. C’est très destructeur pour les agents comme pour les salariés, parce qu’ils sont dans une situation d’apprentissage à vie, toujours obligés de s’adapter au nouveau poste qu’on leur donne. Cela crée un épuisement professionnel. Il y a aussi un effondrement de l’image de soi. J’avais visité un centre d’appels à l’époque de la crise. Les fonctionnaires étaient déprimés par le fait que les contractuels étaient encouragés à vendre n’importe quoi à n’importe qui, primes à la clé. Ils nous disaient?: «?Voilà, ce qu’on est devenus. »
Accepter les nouvelles règles du jeu provoquait un conflit de valeurs très fort. Il ne s’agissait plus de service public à destination de l’usager. Sans compter que les dirigeants avaient un discours très décomplexé envers eux. Les agents étaient présentés comme arc-boutés sur leurs privilèges, une cinquième colonne qui refuse le progrès.
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Lire la suite de l’article (payant) sur le site www.humanite.fr : « Cette crise a-t-elle changé la perception de la souffrance au travail dans l’espace public??«