[France Télécom] Stupeur et tremblements chez les médecins au tribunal

21 juin 2019 | Suicide Au Travail

L’audience du mardi 18 juin 2019

Cette audience réservée à la médecine et à la psychiatrie commençait à ronronner en épluchant les rapports médicaux et l’organisation des services de santé au travail chez France Télécom. Le service de santé au travail de l’entreprise comprenait soixante-seize médecins répartis sur toute la France. Leurs rapports annuels d’année en année, pour la période 2006-2009 ont de plus en plus alerté sur les risques psychosociaux. Et pour finir quasiment tous les médecins alertaient. Ce qui n’a pas ébranlé la Direction de l’entreprise. Il était intéressant de voir projetés à l’écran et lus certains extraits de ces rapports qui parlaient de qualité empêchée du travail et de « jugement de beauté ». C’est d’autant plus intéressant que le modèle de rapport a été élaboré en 1990, époque où l’on ne parlait pas de RPS et qui ne comporte aucune rubrique sur le sujet. Le refus par la DRTEFP (Direction Régionale du Travail) de l’agrément du service autonome de médecine du travail de France-Télécom en 2009 a également fait l’objet de discussion. Ce refus était lié à la réorganisation et en particulier l’instabilité des périmètres sur les quels interviennent les médecins du fait de fermetures et de redéploiement.
Puis est venue la question du médecin coordonnateur. Celle-ci est entendue comme témoin à la demande du parquet. Très tendue et instable elle commencera par se faire reprendre par la présidente, avec patience mais fermeté, afin qu’elle réponde aux questions de présentation et de serment qu’elle venait de lui poser. Puis elle déroulera avec des documents qu’elle avait préparés, l’organisation de la médecine du travail et son rôle de médecin coordonnateur qu’elle a tenu de 2006 à 2009 pour ensuite retourner exercer sur le terrain, les cellules d’écoute qu’elle aura participé à mettre en place. Il a été rappelé par le tribunal que celles-ci avaient fait l’objet d’une décision du conseil de l’ordre à propos de la préservation du secret médical. Ensuite c’est son rôle de médecin coordonnateur qui est passé sur le grill. Il est largement mis en lumière que le médecin coordonnateur n’avait pas le statut de médecin du travail et qu’il était embauché par l’entreprise, son supérieur hiérarchique étant le Directeur des relations sociales. Elle se fera ensuite interpeler par maître Topaloff pour les parties civiles sur le fait que pas un seul mot de sa présentation ne fait référence à la souffrance au travail des salariés de l’entreprise puis la clarification sur le fait que le médecin coordonnateur était seulement conseil de l’employeur.
Maître Teissonière soulignera le caractère déraisonnable de ce poste à la croisée de contradictions. Puis sont venues, de la présidente, les questions de sa démission de médecin coordonnateur en 2009, période où les suicides ont eu une forte résonnance médiatique. Celle-ci s’empressera, avec un début d’émotion et manifestement encore beaucoup de douleur, de dire que sa demande de changement de fonction datait de mars 2009 alors que les évènements se sont produits en juillet. Puis la présidente l’interroge sur la polémique parue dans la presse à propos de sa démission. Lui demandant pourquoi et sur quoi portait cette polémique. Toujours avec tact mais fermeté. Le médecin coordonnateur esquivait les réponses. Puis la présidente finit par lui demander si cela portait sur le fait qu’elle avait servi de bouc émissaire et qu’elle aurait démissionné suite à cette médiatisation des suicides. On assiste alors à un effondrement du médecin coordonnateur. D’abord quelques hoquets puis ensuite très bruyamment ses cris et larmes se mirent à résonner dans la salle. Elle sortit accompagnée de son avocate puis après quelques minutes et après que la présidente lui ait demandé si elle se sentait de pouvoir revenir elle finira par admettre dans ses conclusions qu’il n’y a jamais eu de prévention primaire au sein de la société.
Après la pause, le Docteur Brigitte Font Lebret, médecin psychiatre à Grenoble était entendue. Dès son arrivée dans la salle on sentait qu’il y avait encore de l’émotion à venir. Celle-ci commença à s’exprimer avec emphase et la voix chevrotante, ce qui surprit beaucoup de monde dans la salle. Elle fait part des encouragements reçus de la part de ses patients, notamment d’un certain « Jean-Paul » qui est présent dans la salle et dont elle raconte comment elle a empêché son suicide. Puis elle énumère la violence des corps sur les lieux de travail. Elle ajoutera que ces morts n’ont rien à voir avec un appel à l’aide, qu’il n’y a qu’un seul chiffre à donner, c’est 100% de souffrance. Elle dira également « qu’on ne se suicide pas sur les lieux de travail parce qu’on est bipolaire où à cause des rapports avec son père et dans son enfance ». Elle insistera également sur la psychiatrie clinique, qui permet d’avoir un « regard » ce qui n’a rien à voir avec les questionnaires. Elle citera ensuite les écarts entre le prescrit et le réel et fera référence à Christophe Dejours. Toujours avec beaucoup de vibrations dans la voix.
Ayant quitté le tribunal ensuite je n’ai pas été en mesure d’assister aux questions des avocats de la défense qui ne manqueraient certainement d’être posées.
Auteur : un membre du réseau de consultation Souffrance & Travail

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