Suicide de Jean-Louis Mégnien – Harcèlement à l’hôpital public : toute une chaîne hiérarchique est condamnée

Mise à jour le 16 novembre 2023 | Suicide Au Travail

Sept ans et demi après le suicide de Jean-Louis Mégnien à l’hôpital européen Georges-Pompidou à Paris, le tribunal correctionnel a lourdement condamné trois médecins pour harcèlement, la directrice de l’établissement et l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris. La veuve du professeur espère une prise de conscience.

Le 17 décembre 2015, le professeur Jean-Louis Mégnien, cardiologue, s’est suicidé en sautant du septième étage de l’hôpital européen Georges-Pompidou à Paris (XVarrondissement). Le médecin a dévissé le garde-fou de la fenêtre de son ancien bureau, d’où il avait été délogé. Trois jours plus tôt, il avait repris ses activités après un arrêt maladie de neuf mois.

Trois médecins, l’ancienne directrice de l’hôpital, ainsi que leur employeur l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), étaient poursuivis pour « harcèlement moral ». À l’issue d’un procès long de six semaines, tous les prévenus ont été condamnés, mercredi 15 novembre, dans un jugement particulièrement motivé de soixante-neuf pages.

Le professeur Alain Simon, chef jusqu’en 2012 de l’unité où travaillait Jean-Louis Mégnien, écope d’une peine de huit mois d’emprisonnement avec sursis et 10 000 euros d’amende ; le professeur Michel Desnos, chef de pôle, est condamné à une peine de 50 000 euros d’amende ; le professeur Éric Thervet, président de la commission médicale d’établissement de l’hôpital, à une peine d’emprisonnement de quatre mois avec sursis et à une amende de 5 000 euros ; la directrice de l’hôpital, Anne Costa, à une peine de huit mois d’emprisonnement avec sursis et 10 000 euros d’amende ; enfin, l’AP-HP à 50 000 euros d’amende.

Très émue à l’issue du délibéré, entourée de ses cinq enfants, la veuve du professeur décédé, Sophie Mégnien, s’est réjouie d’une « décision très importante, qui redonne de la dignité à [son] mari et qui pourra soutenir d’autres personnes en souffrance au sein de l’hôpital public. [Elle] espère aussi qu’elle conduira à une prise de conscience ».

Son avocate, MChristelle Mazza, insiste sur le caractère collectif de la condamnation, qui vise « toute une chaîne hiérarchique ».

« C’est aussi l’histoire d’un groupe d’hommes, des médecins, dans un huis clos particulièrement cruel que l’on retrouve malheureusement trop souvent dans la sociologie du travail à l’hôpital public. Dans ces luttes à mort entre médecins rivaux, la direction manque à toutes ses obligations, contribuant ainsi directement aux faits dénoncés. Le message fort de ce jugement, c’est que cette culture de la violence morale doit cesser. Il y a urgence à ré-humaniser l’hôpital. »

L’AP-HP a immédiatement annoncé faire appel de la décision, arguant « qu’en aucune manière l’établissement et la directrice de l’hôpital européen Georges-Pompidou de l’époque n’ont, en cherchant à mettre fin à un long conflit au sein d’une équipe médicale de cet hôpital, organisé ni laissé s’organiser un processus de harcèlement moral qui aurait conduit au suicide du professeur Jean-Louis Mégnien en décembre 2015 ».

Les autres condamné·es ont quinze jours pour faire appel.

En préambule, la présidente a rappelé que le harcèlement se caractérise en droit par « des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».

« Une sorte d’embrouille »

Le jugement détaille les « cinq types de comportement […] révélés dans cette procédure pour caractériser le harcèlement moral subi par le professeur Mégnien : ce dernier n’a plus été salué et n’a pu s’exprimer, étant évincé des réunions de travail et des moments de convivialité. Il a par ailleurs été volontairement isolé, déconsidéré auprès de collègues et de ses patients, ses ordonnanciers ayant été modifiés et son activité médicale transférée de manière forcée au deuxième étage. Il a enfin été poussé à la faute, puis écarté de sa structure et de sa collectivité de travail […] avec consécutivement une dégradation de sa santé physique et psychique au point d’aboutir à son suicide ».

Le professeur Mégnien exerçait au sein du Centre de médecine préventive cardiovasculaire et unité fonctionnelle (CMCPV) de l’hôpital européen Georges-Pompidou. Un conflit s’est noué autour de la succession du professeur Alain Simon à la chefferie de l’unité.

Le professeur Mégnien s’imposait comme son successeur naturel, en raison de son ancienneté, de son titre de praticien hospitalier professeur des universités, du nombre de ses publications, mais aussi en raison du fait qu’il concourait jusqu’en 2012 « à une ambiance amicale, conviviale et chaleureuse » dans le service.

Mais le professeur Simon a opté pour une chefferie tournante, partagée entre Jean-Louis Mégnien et un autre médecin du service. Ce dernier a été nommé en premier responsable de l’unité, et devait démissionner quatre ans plus tard au profit de Jean-Louis Mégnien.

L’inspection du travail, qui s’est penchée sur cet accord, l’a qualifié de « grave dysfonctionnement » sans « aucune base réglementaire » et sans « possibilité de recours ». Devant le tribunal, le président de la commission médicale de l’AP-HP en 2012, le professeur Loïc Capron, a reconnu avoir donné son « accord », mais « la mort dans l’âme », car cette chefferie tournante était à ses yeux une « sorte d’embrouille ».

Dans plusieurs courriers, Jean-Louis Mégnien expliquait « être réduit à rien du tout ». 

Le tribunal a en effet considéré que cet accord de 2012, proposé par le professeur Simon, visait finalement à « rendre impossible l’accession aux fonctions de chef de service […] du professeur Jean-Louis Mégnien ».

Lire la suite, « Risque suicidaire« , sur le site de Médiapart


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