[Procès France Télécom] L’avocate Rachel Saada: «En France, on ne met pas les patrons en prison»

16 juillet 2019 | Suicide Au Travail

L’avocate Rachel Saada, figure de la défense des salariés, analyse les deux mois d’audience du procès France Télécom, qui prend fin ce jeudi 11 juillet. Elle estime qu’une condamnation des ex-dirigeants de l’entreprise aurait un impact important dans les dossiers similaires qu’elle et ses confrères défendent.

L’avocate Rachel Saada, membre du Syndicat des avocats de France (SAF), est une des figures de la défense des salariés de l’Hexagone. Elle a notamment défendu les familles de plusieurs de ceux qui s’étaient donné la mort lors de la vague des suicides chez Renault, en 2006-2007. Alors que le procès des pratiques managériales à France Télécom de 2006 à 2010 prend fin ce jeudi 11 juillet, elle analyse les deux mois d’audience, et l’impact que le jugement pourrait avoir dans des dossiers similaires.

Le procès France Télécom s’achève ce jeudi 11 juillet. Si les ex-dirigeants de l’entreprise sont condamnés, cela aura-t-il une conséquence dans les dossiers similaires traités par les avocats spécialisés ?

Rachel Saada : C’est certain. Comme la défense et les parties civiles n’ont pas cessé de le dire durant le procès, il n’y a pas encore de décision judiciaire claire au pénal sur l’existence d’un harcèlement stratégique et managérial de la part d’une entreprise. Cela existe au civil, on l’a fait juger très rapidement [après le vote de la loi l’instituant en 2002 – ndlr], mais cela n’existe pas encore au pénal. C’est important, très important.

Comment sont traités aujourd’hui les dossiers que vous et vos confrères défendez ?

Sur le harcèlement moral, il n’y a absolument aucune politique pénale, cela repose malheureusement sur la bonne volonté de certains procureurs, qui vont prendre le dossier en main. Si on mettait autant d’énergie à réprimer les infractions commises dans les entreprises qu’on en met pour réprimer celles qui se passent dans les quartiers de banlieue…
Sur le travail clandestin, la justice met la gomme, parce que ça touche des étrangers, et que ça empêche l’Urssaf de récupérer des cotisations. Pour ces choses-là, on poursuit. Mais quand il s’agit de réprimer la discrimination, l’atteinte au droit de grève, le harcèlement moral, l’entrave au fonctionnement des instances représentatives du personnel, il n’y a plus personne.

Vous avez suivi une partie des audiences pendant deux mois. Quel regard portez-vous sur la tonalité de ce procès ?

Dans ses réquisitions, le 5 juillet, la procureure a évoqué le caractère exceptionnel de ces audiences. Et notamment le comportement des prévenus, et leurs nombreuses répliques à ce que disaient les parties civiles et les témoins… Et que je te reprends la parole, et que je réponds à la réplique, etc. Sans aucune limite. La procureure a dit à la présidente Cécile Louis-Loyant qu’à sa place, elle aurait interrompu ces prises de parole, plus dirigé les débats. Puis elle a reconnu que c’est évidemment la façon de faire de la présidente qui était la bonne. Mais c’est très rare, je ne l’avais jamais vu.

Comment l’expliquez-vous ?

Cela tient au caractère exceptionnel du procès, certes, mais aussi à la qualité des magistrats qui ont mené les débats. L’audience, c’est vraiment ce qu’en font les magistrats. Il peut y avoir des procès absolument extraordinaires, des cours d’assises avec des dossiers passionnants, si le président ne mène pas convenablement les débats, ça fait « plouf ». Dans ce procès, la présidente a très bien mené les débats.
Le parquet aussi était exceptionnel : il a été peu bavard pendant les audiences, mais extrêmement attentif, et on voyait qu’il connaissait parfaitement le dossier : quand quelqu’un hésitait sur une date, la substitut donnait la bonne date et la bonne cote du dossier !
La procureure a terminé ses réquisitions en disant que ce procès était exemplaire. Et ce, à double titre : le tribunal va devoir rendre une décision qui va servir d’exemple, mais elle signifiait aussi aux prévenus qu’ils ont eu de la chance de bénéficier d’un tel procès.

Est-ce un privilège réservé à une élite économique ?

Est-ce que ce caractère exemplaire est lié au fait que les prévenus sont des patrons, issus de la classe dominante ? Il est vrai que la justice ne s’adresse pas de la même manière à tout le monde. Mais je suis certaine que cette présidente, face à des prévenus venus des cités, sera tout aussi respectueuse. Son respect n’était pas lié à une crainte ou à une déférence, mais à sa droiture.

Lire la suite sur le site www.mediapart.fr

A lire dans le magazine

Réseaux Sociaux

Suivez-nous sur les réseaux sociaux pour des infos spéciales ou échanger avec les membres de la communauté.

Aidez-nous

Le site Souffrance et Travail est maintenu par l’association DCTH ainsi qu’une équipe bénévole. Vous pouvez nous aider à continuer notre travail.