Suicides chez Orange : la crainte d’un retour de la machine à broyer

Mise à jour le 09 juillet 2022 | Suicide Au Travail

Les syndicats alertent après deux suicides dans l’entreprise, ex-France Télécom. Pour eux, il est temps de remettre en question cette stratégie de réduction de coûts, génératrice de souffrance.

Saisissant effet miroir. Le 30 juin, lors des plaidoiries de la défense au procès en appel des ex-dirigeants de France Télécom, l’une des avocates a évoqué le suicide de Christophe B., salarié d’Orange, survenu presque un mois avant.

L’irruption de ce drame, qui visait initialement à amoindrir la responsabilité des prévenus dans la crise de 2007-2011, met en lumière les situations de souffrance récentes au sein de la multinationale. En arrêt maladie depuis le 23 mai, l’agent de 52 ans, marié et père de famille, s’est pendu deux jours plus tard sur son lieu de travail.

« Elles ont été oubliées »

Dans le centre technique de Draguignan (Var), le choc n’est pas dissipé. « Il se plaignait depuis longtemps d’une activité sans intérêt et de surcharge de travail », assure Virginie Reze, élue CGT au CSE de la direction opérationnelle grand Sud-Est (DOGSE) qui a rencontré ses collègues. Cet ancien technicien, chargé du raccordement fibre des maisons individuelles, faisait l’interface, pas toujours évidente, avec les sous-traitants.

Selon la CGT, des pressions auraient aussi été exercées par une responsable pour qu’il prenne du galon alors qu’un poste d’adjoint était vacant. Ce que le fonctionnaire, déjà bien occupé, ne souhaitait pas. « Il ne voulait pas qu’on lui casse sa routine », raconte Robert (1), un agent œuvrant dans la structure.

Quand la syndicaliste s’est rendue sur place après ce geste violent, elle a été choquée par l’ambiance. « On aurait dit un bâtiment désaffecté, c’était très angoissant, s’indigne-t-elle. L’équipe de Christophe et deux personnes du service client avaient plusieurs fois demandé à partager le même plateau pour ne pas être isolés, mais cela leur a été refusé pour des raisons de confidentialité. Le jour du drame, deux employées ont aperçu les pompiers qui leur ont parlé d’un suicide. Terrorisées, elles ont attendu une explication. Mais entre 11 h 30 et 16 heures, personne n’est venu les voir. Elles ont été oubliées. »

Une enquête de police et une enquête paritaire

Orange a, depuis, pris des mesures de soutien et s’est engagé à reconnaître l’accident de service (accident du travail pour les fonctionnaires). Une enquête de police et une enquête paritaire (avec membres de la direction et représentants syndicaux) sont en cours.

À Draguignan, ce climat crépusculaire ne daterait pas d’hier. Seule une trentaine d’employés sont encore présents dans les locaux, dont bon nombre de techniciens en interventions. Il y a quelques années, ils étaient une centaine. « À un moment, il y avait des pots de départ quasiment tous les mois, se remémore Robert. Entre les restructurations, les retraites et les temps partiels seniors (TPS, mesure de départ de fin de carrière), le centre s’est vidé. Beaucoup préfèrent partir de manière anticipée, car les conditions de travail sont mauvaises. Dans le service de Christophe, il y avait eu beaucoup de TPS et d’autres à venir. »

Un droit d’alerte lancé le 27 avril

Pour Sandrine Ferrety, responsable de section syndicale SUD PTT à la DOGSE, la permanence de très petites équipes se sentant « abandonnées » dans des édifices surdimensionnés s’explique : « Stéphane Richard (ancien PDG d’Orange jusqu’en janvier – NDLR) s’était engagé à ne plus fermer de sites après la crise sociale, mais, avec les multiples réorganisations, les entités se retrouvent de plus en plus réduites. À Draguignan, les agents se demandaient à quelle sauce ils allaient être mangés, entre les non-remplacements et la sous-traitance généralisée. »

Le service de Christophe, qui faisait du télétravail trois jours par semaine, était composé de trois personnes ainsi que deux autres à Saint-Laurent-du-Var (Alpes-Maritimes) et à Digne (Alpes-de-Haute-Provence), selon la CGT. Un inspecteur du travail venu à Draguignan quelques jours après le drame n’a d’ailleurs pas trouvé d’encadrant à qui s’adresser. «  Depuis, un manager vient tous les jours », constate Robert.

Au sein de l’unité d’intervention Provence-Rhône-Méditerranée (UIPRM), dont dépendait cet agent, des difficultés avaient été mises en avant par le Comité national de prévention du stress (CNPS) et le rapport du cabinet d’expertise Secafi, que nous avons pu consulter. En 2021, 48 % des agents considèrent que leur travail devient de plus en plus exigeant (contre 49 % en 2019) et 65 % d’entre eux craignent que les restructurations s’accélèrent.

Quant aux rapports annuels de la médecine du travail, attirant l’attention sur la dégradation des conditions de travail, ils avaient conduit les syndicats à lancer un droit d’alerte, le 27 avril.

Lire la suite, « Une lettre poignante aux membres de la CSSCT », « Dans la région grand Nord-Est, les effectifs baissent de 10% », « « J’ai plus de 1 000 dossiers à traiter depuis que mon collègue est parti »  », … sur le site humanite.fr

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