Entretien | L’échange samedi d’Emmanuel Macron avec un jeune chômeur a provoqué de très nombreuses réactions et critiques. Pour la sociologue du travail Danièle Linhart, « c’est une manière fausse de responsabiliser les individus ».
Ce lundi encore, l’opposition a déploré le « mépris » des conseils prodigués par Emmanuel Macron ce samedi à un jeune sans emploi. Quantité de critiques sont aussi venues des réseaux sociaux. Alors que Christophe Castaner, le patron de La République en Marche, a demandé s’il valait mieux de la langue de bois ? A l’occasion de l’ouverture de L’Élysée pour les Journées du patrimoine, le chef de L’État avait recommandé à un diplômé en horticulture sans emploi de 25 ans de postuler dans le secteur de l’hôtellerie-restauration ou le bâtiment.
« Honnêtement, hôtel, café, restaurant, je traverse la rue, je vous en trouve« , a-t-il dit lors d’un échange filmé par la presse.
Sociologue spécialisée dans l’évolution du travail et de l’emploi, Danièle Linhart réagit à cette nouvelle adresse polémique du Président. Directrice de recherche au CNRS, elle enseigne à l’université Paris X.
Que vous évoque cette réflexion d’Emmanuel Macron à ce jeune horticulteur sans emploi ?
Il y a vraiment une volonté de modifier le rapport au travail en France. Il s’agit de promouvoir une idéologie qui serait celle du « tout est désormais possible, on est dans le monde de la liberté, on a libéré le travail, il faut libérer maintenant les salariés, les travailleurs. Il faut qu’ils comprennent qu’on est dans le monde de la fluidité, de la flexibilité. Il faut avoir le goût du changement et de l’aventure, il faut savoir se remettre en question, etc., etc. »
Il y a une manière de placer toutes les responsabilités sur chacun d’entre nous dans ce monde du travail, pour dire franchement : « y’a qu’à déménager, y’a qu’à changer de métier, y’a qu’à passer d’un statut à un autre, du statut de salarié à celui d’auto-entrepreneur ou d’indépendant, y’a qu’à créer son entreprise, etc., etc.« .
Cela ne reflète pas la réalité du monde du travail, parce qu’il a été modelé par des dizaines et des dizaines d’années qui ont promu une sorte de réalité qui est celle d’un salariat où tout le monde aspire à une certaine stabilité.
D’ailleurs, dans les années cinquante, soixante ou soixante-dix, on faisait tout pour fidéliser les ouvriers, pour qu’ils restent accrochés à leur usine. On a mis en place des cantines et des logements. Il y a eu une période pour stabiliser, fixer, fidéliser, identifier les individus à un métier, à une identité professionnelle, et maintenant on fait comme si du jour au lendemain on pouvait tout transformer et dire à chacun : « voilà, c’est une question de simple bonne volonté« .
Cela ne reflète pas la réalité ?
Non. Et c’est une manière fausse de responsabiliser les individus, parce que les personnes au travail s’investissent, s’engagent. Elles cumulent une certaine expérience qui leur permet d’être meilleures, de se bonifier dans leur travail donc on n’est pas dû tout dans le même registre. Et Emmanuel Macron a tendance à produire comme une sorte d’amnésie généralisée, on repart sur de nouvelles bases, mais ce n’est pas aussi simple que cela.
Si l’on regarde son cursus, lui, il s’est préparé. Il est passé par les meilleures grandes écoles, par le ministère des Finances, par l’Elysée, il a été le conseiller de François Hollande : il n’est pas devenu Président par hasard. Et lui encore, il lui était beaucoup plus facile de changer que pour les autres.
Il y a donc quelque chose qui relève soit du mépris, soit de l’ignorance, soit de l’incompréhension de la situation réelle des gens.
Les gens sont ancrés dans un certain rapport au travail, à leur métier, dans une certaine identité professionnelle, dans un certain mode de vie : vie privée, vie professionnelle. Tout cela ne se remet pas en cause du jour au lendemain. Ce n’est pas si simple que cela.
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Lire la suite sur le site de France Culture : « Peut-on dire du coup que le politique « légitime » la violence économique du marché du travail tout simplement ? »
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Le 18 décembre, Danièle LINHART sera l’invitée du Café Citoyen Santé Travail de Paris
organisé par l’association Café Théma et Souffrance & Travail