our des raisons diverses mais de leur plein gré, ils et elles ont cessé de travailler et le vivent très bien. Leurs proches, pas toujours, tant la valeur travail reste l’alpha et l’oméga par lequel on juge de l’activité d’une personne.
«Je ne veux pas faire des trucs qui me font chier.» Camille – il a préféré donner ce prénom cher aux zadistes – ne travaille pas. Ou si peu : un ou deux mois par an, depuis qu’il a décroché son bac à Nancy en 2005. «Je pourrais vivre seulement du RSA, mais faire les vendanges me permet d’acheter des BD et des cadeaux», précise-t-il. Hervé, la petite quarantaine, a démissionné de son poste d’entraîneur sportif il y a trois ans pour devenir homme au foyer. Les revenus de sa femme suffisent pour faire vivre la famille. Lui se consacre désormais à ce qu’il remettait jusqu’alors à plus tard, mais surtout il peut voir grandir ses enfants. Etre libre de son temps, c’est aussi ce qui a amené Lætitia, bricoleuse heureuse tout juste trentenaire, à troquer son CDI dans un centre social contre une vie nomade à bord de son camion.
«PARASITE SOCIAL»
«Inactifs» au sens conventionnel (ils ne sont ni en emploi ni au chômage), Camille, Hervé ou Lætitia sont pourtant loin d’être inaptes. Encore moins désœuvrés. Ils ont simplement opté pour un mode de vie qui leur convient, sans chiffre d’affaires ni fiche de paie. «Il y a 50 000 choses que j’ai envie de faire», lâche Camille, qui partage ses journées entre le militantisme, la lecture et les coups de main aux copains. «Je manque de temps pour ne rien faire, et je ne prends jamais de vacances», sourit de son côté Simon, qui vit son quart de siècle dans l’engagement activiste. Tous affirment ne pas regretter leur choix : un emploi, non merci. Tant pis si cela doit en irriter certains. Car il n’est pas simple de vivre hors de l’entreprise et du salariat, dans une société où la valeur travail est fondatrice, omniprésente et sa contestation taboue. Du «travailler plus pour gagner plus» sarkozyste au hollandiste «ma priorité, c’est l’emploi», l’importance du travail est défendue par les politiques de tous bords et rassemble sous la même bannière la CGT et le Medef, l’Eglise catholique et le Strass. «Aujourd’hui, la crise a encore accentué son rôle économique, social, mais aussi symbolique», analyse Danièle Linhart, directrice de recherche au CNRS (lire ci-contre). L’Insee lui donne raison : 80 % des Français considèrent le travail comme l’un des composants essentiels de l’identité, au-delà de son apport matériel évident. Un plébiscite. «Pas facile, quand tout le monde cherche un emploi, de dire que tu as quitté le tien juste parce que tu en avais envie. Il est impossible d’expliquer mon choix à une partie de mon entourage», regrette Hervé.
Le travail est «un fait social total [dont] l’absence est devenue quelque chose d’absolument insupportable», écrit la sociologue et philosophe Dominique Méda dans son ouvrage Travail : la révolution nécessaire (2010). Celui qui ne travaille pas est stigmatisé : jugé malchanceux dans le meilleur des cas, inadapté ou assisté, il est rapidement perçu comme un profiteur potentiellement subversif dès lors qu’il assume son état. «Quand j’ai démissionné après un burn-out, mes proches m’ont soutenu. Mais quand je leur ai confié que je ne souhaitais pas chercher un nouvel emploi, les mots « assistanat », « parasite social » ont fusé avant que j’ai pu m’expliquer», se souvient Simon. Aujourd’hui, son bonheur semble avoir eu raison des réticences de son entourage. «Je ne trouve pas d’autre sens à ma vie que d’essayer de changer les choses, pour un monde plus juste», s’enflamme le jeune homme, clown activiste au sein de la Circa (Clandestine Insurgent Rebel Clown Army). Un idéal que partagent Camille, zadiste actif et écologiste convaincu, mais aussi Lætitia. Ces derniers temps, la jeune femme occupe ses soirées à la mise au point d’un générateur pour économiser du carburant.
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