Depuis plusieurs années, les cas de suicides liés au travail sont bien connus et médiatisés. Ceux dus au chômage le sont, en revanche, beaucoup moins et leur analyse peut-être encore plus complexe. Car il reste très difficile d’établir un lien causal entre une période de recherche d’emploi et le fait de se donner la mort.
Pour la première fois, une étude tente pourtant d’analyser le phénomène, chiffres à l’appui. Selon ses résultats, publiés mardi, le taux de décès par suicide augmente avec le taux chômage et près de 600 suicides pourraient ainsi être attribués à la hausse du chômage observée en France entre 2008 et 2010. «Entre 2000 et 2010 en France, le taux de chômage est significativement et positivement associé au taux de suicide», estiment les chercheurs de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) qui signent cette étude publiée dans le Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH) de l’Institut de veille sanitaire (InVS).
«Aucun lien» de cause à effet entre chômage et suicide ne peut être déduit
Lorsque le taux de chômage augmente de 10%, le taux de suicide (nombre de décès par suicide rapporté à la population) progresse en moyenne de 1,5% pour l’ensemble de la population de plus de 15 ans. L’association entre chômage et suicide apparaît plus marquée pour les hommes de 25 à 49 ans: la hausse de 10% du taux de chômage s’accompagne par une hausse de 1,8% à 2,6% du taux de suicide.
Mais les chercheurs soulignent le caractère statistique et «observationnel» de leur étude: «aucun lien» de cause à effet entre chômage et suicide au niveau des individus «ne peut être déduit à partir de ces résultats». La causalité du chômage sur le suicide reste en effet «débattue» car plusieurs «facteurs de confusion» peuvent entrer en jeu. Par exemple, des troubles psychiatriques chez une personne peuvent se traduire à la fois par un risque accru de chômage et de suicide, expliquent les chercheurs.
Si on retient l’hypothèse qu’il existe bien un lien de cause à effet entre chômage et suicide alors, selon l’étude, «le nombre de suicides attribuables en France à la hausse du chômage entre 2008 et 2010» peut être «estimé à 584» (par rapport au nombre de suicides si le chômage était resté stable au niveau de fin 2007).
L’isolement, facteur aggravant
Interrogé par Le Parisien, le psychiatre Michel Debout, auteur d’un livre à paraître intitulé Le traumatisme du chômage, dit ne pas être «surpris» par ces résultats. «Le chômage a souvent des effets destructeurs, désocialisants et dévalorisants. Etre licencié, ça influe sur votre santé, sur votre rapport aux vôtres et sur l’estime de soi», explique-t-il. Et ce d’autant plus quand le chômeur souffre d’«isolement», un facteur aggravant.
Selon lui, les pouvoirs publics «sous-estiment» le problème. «Or il est urgent d’alerter les gens pour qu’ils n’hésitent pas à aller consulter un médecin s’ils se sentent dans une situation difficile. Il existe des traitements, des médicaments, ou même une écoute d’un tiers, qui peut apaiser», conseille le médecin.
Via 20 Minutes