Pierre-Yves Gomez : "La présidentielle pourrait être l’occasion de dégager une vision commune sur le travail"

04 mars 2017 | Emploi et Chômage

Pierre-Yves Gomez, directeur de l’institut français de gouvernement des entreprises à l’École de management de Lyon, est un spécialiste de la gouvernance des entreprises.

Il estime probable une contraction du travail salarié mais pas sa disparition. Il nous livre sa vision des évolutions du travail et du dialogue social et décrypte pour nous l’idée et les enjeux d’un revenu universel. Interview.

Une partie du travail réel est devenu invisible car le management et ses outils de gestion ne s’intéressent plus qu’à la satisfaction d’objectifs de performance, disiez vous en 2014 (notre article). Est-ce aussi le cas dans les débats de la présidentielle ? Trouvez-vous que l’on parle assez du travail et de ses évolutions ?

Prenons un exemple à contre-courant : l’affaire Pénélope Fillon. Tout le monde a beaucoup glosé sur le travail de l’épouse de François Fillon. Mais curieusement, très peu se sont intéressés au travail réel d’un assistant parlementaire : en quoi consiste-t-il vraiment ? Les assistants parlementaires eux-mêmes, lors d’une manifestation à l’Assemblée, ont dit vouloir enfin parler de leur travail ! Voilà qui est assez symptomatique des débats de la présidentielle : finalement, on parle peu du contenu du travail. En revanche, on parle beaucoup de l’emploi, on parle beaucoup des changements du marché du travail mais le travail lui-même (son contenu, son intérêts, sa dignité, etc.) n’est pas encore vraiment à l’agenda. Certes, la thématique du travail se retrouve un peu partout dans les discours des candidats, chez Jean-Luc Mélenchon, chez Benoît Hamon avec le thème de la fin du travail, chez Emmanuel Macron, chez François Fillon avec une insistance sur la valeur travail, etc. Mais parlent-ils du travail tels que les gens le vivent ou d’un concept abstrait ou même, de toute autre chose, c’est à dire de l’emploi ?

Votre analyse ?

Benoît Hamon est sans doute celui qui a, jusqu’à présent, abordé le plus profondément la question du travail. Il s’est intéressé aux nouvelles formes du travail, au travail collaboratif, etc. Mais il y a une ambiguïté, voire une confusion dans son discours. Quand il évoque la « fin du travail », il semble renvoyer à la fin de l’emploi salarié -d’ailleurs à tort à mon avis- mais pas à la fin du travail car celui-ci ne va pas diminuer et encore moins disparaître.

Justement, que pensez-vous de cette prévision d’une raréfaction du travail et de l’idée de revenu universel ?

Ce n’est pas le travail qui va se raréfier, c’est le travail salarié qui va se contracter. C’est très différent Par exemple, une partie de l’activité qui relevait du travail salarié est déjà effectuée par le consommateur : lorsqu’il commande un billet de train sur internet ou lorsqu’il scanne ses achats dans une caisse sans caissière. C’est lui qui travaille à la place d’un salarié, mais vous voyez bien que ce travail ne se fait pas tout seul ! Il faut donc bien distinguer les différentes formes de travail : une partie est familial, associatif, collaboratif ou consiste en un « travail du client ». Ce travail là est bénévole, il ne procure pas de revenu à la différence du travail salarié ou du travail indépendant. Je reviens donc à votre question : le travail salarié va-t-il se raréfier ?
Il est certain qu’il va se contracter. Mais de là à prévoir sa disparition, non, le travail salarié ne va pas disparaître, pour des raisons à la fois sociales et économiques. On peut toutefois imaginer que le travail salarié a connu son apogée dans les années 1990. Depuis, l’apparition de nouvelles formes de travail, soit bénévole (du client, collaboratif, etc.), soit d’autres formes de travail rémunéré, comme le travail indépendant, est un fait tendanciel. Pour autant, cette évolution n’est pas aussi massive que certains le disent, au point d’en déduire une disparition programmée du travail salarié et son remplacement par des robots. Le vrai enjeu n’est pas la disparition du salariat, mais l’évolution de la part du travail donnant lieu à une rémunération, par rapport au travail qui n’en donne aucune. Comment continuer à rémunérer l’ensemble du travail si le travail rémunéré diminue, même marginalement ? Comme je l’écris dans mon dernier livre (NDLR : lire l’encadré ci-dessous), le revenu universel est à cet égard un marqueur des différents programmes électoraux. La façon de se positionner par rapport au revenu universel est symptomatique de la façon que l’on a de considérer le nouvel ordre social et économique.

Quels sont ces différents positionnements ?

J’en vois deux très opposés. Il y a ceux qui refusent par principe l’idée d’un revenu universel, comme Emmanuel Macron, parce qu’il se dit « pour le travail ». Ce faisant, il ne voit pas qu’une partie du travail est bénévole, sous forme de travail domestique (l’éducation des enfants, par exemple), associatif ou collaboratif aujourd’hui et que ce travail échappe aux revenus. La position hostile par principe au revenu universel revient à soutenir que la rémunération par le travail salarié suffit. Cette position est assez classique et conduit à prôner la relance économique pour créer des emplois. Mais c’est un modèle relativement ancien.
Il y a, de l’autre côté, ceux qui soutiennent que le revenu universel est inévitable. Mais ils soutiennent cette évolution pour des raisons différentes. Certains disent qu’il faut tirer les conséquences de l’évolution du travail que je viens de décrire. Pour eux, le revenu universel serait un socle qui permettrait aux individus d’éviter la précarisation et de pouvoir choisir plus librement la forme de leur travail, leur évolution professionnelle, etc. D’autres partisans du revenu universel considèrent que nous sortons d’une société du travail pour aller dans une société de loisirs et que l’individu doit pouvoir choisir entre travailler ou…ne pas travailler. Les premiers pensent que le revenu universel permettra de libérer le travailleur en augmentant son rapport de forces sur le marché du travail, quand les seconds imaginent que le revenu universel libérera les consommateurs du besoin de travail. On voit que le revenu universel est un marqueur de visions différentes de la société.

Lire la suite de l’entretien sur le site actuel-ce.fr
 

A lire dans le magazine

Réseaux Sociaux

Suivez-nous sur les réseaux sociaux pour des infos spéciales ou échanger avec les membres de la communauté.

Aidez-nous

Le site Souffrance et Travail est maintenu par l’association DCTH ainsi qu’une équipe bénévole. Vous pouvez nous aider à continuer notre travail.