La délégation aux droits des femmes du Sénat poursuit les travaux de la mission d’information sur la santé des femmes au travail. Face aux sénatrices, historiennes et sociologues ont expliqué pourquoi les femmes souffrent plus au travail que les hommes.
Les troubles musculo-squelettiques, « miroirs de l’inadaptation du monde du travail aux femmes »
« Les femmes sont deux fois plus exposées aux risques musculo-squelettiques que les hommes », commence Annick Billon, la présidente de la délégation aux droits des femmes en introduction aux échanges. Les chiffres sont éloquents : ces troubles, qui se manifestent par des douleurs et des gênes dans les mouvements qui, sans mesure de prévention, peuvent entraîner à terme une incapacité au travail et dans la vie quotidienne (définition du Ministère du travail) représentaient, en 2018, 88 % des 50 000 personnes atteintes de maladie professionnelle, explique l’historienne Murielle Salle. Et parmi elles, 55 % sont des femmes. Et la tendance est plus inquiétante encore que ces chiffres, car entre 2001 et 2019, on a constaté une baisse de 27 % des accidents du travail chez les hommes alors que c’était exactement l’inverse chez les femmes, pour qui les accidents du travail ont augmenté de 42 % sur la même période.
Alors comment l’expliquer ? Sans aucun doute, par une moins bonne prise en compte des souffrances spécifiques aux femmes liées au monde du travail. On parle aussi bien du manque d’ergonomie de l’environnement de travail que des gestes répétés, des contrats précaires, des temps partiels subis, horaires décalés, l’ensemble lié à une vie personnelle dense (elles sont beaucoup plus nombreuses à supporter les familles monoparentales). Voilà la recette du « cocktail explosif » qui explique aujourd’hui que les femmes souffrent davantage au travail que les hommes.
Une sous-estimation de la pénibilité féminine par les hommes
Ces hommes, où sont-ils d’ailleurs ce matin ? C’est l’une des questions que l’on se pose en voyant ces échanges. Trois expertes sont entendues ce matin : la sociologue Caroline de Pauw, la chercheuse Elsa Boulet et l’historienne Murielle Salle. Cette dernière a co-écrit un livre avec Catherine Vidal (déjà auditionnée par la délégation aux droits des femmes dans le cadre de la mission d’information) qui s’intitule : « Femmes et santé, encore une affaire d’hommes ? », où les deux femmes s’interrogent sur les raisons qui expliquent que les femmes passent plus de temps en mauvaise santé que les hommes. Une affaire d’hommes, mais aucun homme dans la salle, Caroline de Pauw met les pieds dans le plat : « Je regrette à chaque fois, de ne parler qu’à des femmes quand il faut parler de santé des femmes. C’est un sujet de société. »
Quelques minutes plus tôt, la même a dénoncé la « sous-estimation de la pénibilité féminine qu’on va considérer comme moins dangereuse ». La représentation de la pénibilité, c’est encore dans l’imaginaire collectif, bien plus celle du mineur que celle de la caissière ou de l’aide à domicile. Des secteurs où les hommes sont moins nombreux : « Oserais-je dire que c’est pour ça qu’on s’en occupe peu… » avance encore Caroline de Paw. Et les racines du mal sont ancrées dans l’histoire, c’est d’ailleurs ce qu’explique Murielle Salle : « Le corps standard pour la médecine a longtemps été le corps d’un homme. »
Et la grossesse dans tout ça ?
Bien que les femmes soient censées être protégées par la loi pendant leur congé maternité, et même un peu au-delà (protection absolue avec interdiction de licenciement pendant le congé maternité, puis protection relative pendant les 10 semaines qui suivent le retour au travail), les mentalités n’ont guère évolué : « Il y a une stigmatisation de la grossesse en milieu professionnel » rappelle ainsi Elsa Boulet, sociologue spécialiste des enjeux liés à la grossesse en milieu professionnel. Et pire, les mères et futures mères en ont parfaitement conscience et font avec : « Toutes les salariées ont intériorisé la suspicion et l’hostilité potentielle de leur milieu professionnel vis-à-vis de leur grossesse. »
Quelles solutions pour prendre en compte les souffrances des femmes au travail ?
Comme une boutade un peu provocatrice, Caroline de Pauw montre un graphique datant de 1998 pour illustrer le déficit de prise en compte de la santé des femmes au travail, preuve que le sujet ne date pas d’hier et que le constat fait consensus chez les chercheurs. L’heure n’est plus au diagnostic, mais bien aux solutions. La formation en santé en fonction du genre est aujourd’hui anecdotique et complètement absente pour les médecins du travail, regrette Muriel Salle (qui quitte la réunion pour donner un cours sur le sujet à des étudiants en médecine à Lyon, comme quoi, ces enseignements existent tout de même dans certaines universités). Ce sujet est bien l’affaire des femmes et des hommes. Avant de partir, l’historienne livre une anecdote : depuis que les femmes se chargent de la livraison du courrier à La Poste, on a remplacé la besace par le chariot à roulettes. Quelques anciens ont un peu pesté. Mais aujourd’hui, le dos des factrices et des facteurs s’en porte beaucoup mieux. La santé des femmes, c’est donc l’affaire de tous.
Via le site Public Sénat