Comment prendre des notes cliniques dans les psychothérapies psychanalytiques ?

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Les notes agissent comme des compagnons silencieux du travail psychothérapeutique. Elles témoignent du labeur effectué ou rappellent par leur absence les traversées du désert, les absences, les effacements ou les oublis. Elles attestent parfois d’un “c’était déjà là” lorsqu’elles sont relues plusieurs mois plus tard. Pourtant, il existe peu de textes qui traitent des notes psychothérapeutiques, alors que la notation est une part du travail clinique.

Ce texte tente de combler ce manque en rappelant tout d’abord l’importance des notes dans le domaine de la psychothérapie. Un format de note est ensuite proposé à partir de la spécificité de la situation psychodynamique.

L’importance des notes cliniques

Les notes cliniques sont importantes dans le domaine de la psychothérapie parce qu’elles documentent le travail effectué. La note est un document qui contient des informations structurées de façon à être utilisées facilement par le clinicien ou d’autres professionnels. Les notes permettent au clinicien de se représenter le travail effectué. Elles facilitent la communication avec les autres professionnels. Leur fonction est double. Elle est tout d’abord de conserver une trace du travail effectué par le clinicien. Il est alors soit une mémoire soit une preuve. La note sert également à communiquer une information. Elle est alors un support de formation et de recherche.

Historiquement, les cliniciens disposent d’un format de notes structuré depuis une cinquantaine d’années. Laurence Weed (1964) a proposé le format S.O.A.P. afin d’augmenter la continuité des soins pour les patients. Les notes S.O.A.P. permettent de classer, d’identifier et de hiérarchiser par ordre de priorité les problèmes du patient, de formuler des hypothèses et un plan de traitement. Initialement conçu pour faciliter le travail des médecins hospitaliers, les notes S.O.A.P. ont été adoptées par d’autres professionnels comme les infirmiers, les kinésithérapeutes ou les psychologues.

L’acronyme S.O.A.P. signifie Subjectif, Objectif, Analyse, Plan. Le clinicien note dans la section Subjectif l’expérience subjective du patient, son point de vue personnel. Cette section comporte ce que le patient dit, pense et éprouve. La section Objectif contient ce que les cliniciens observent. Cette section peut renvoyer aux habits du patient, à sa posture ou à tout ce qui peut être observé par le clinicien. La section Analyse synthétise les sections Subjectif et Objectif. Cette section comporte l’analyse ou l’interprétation du clinicien. C’est le moment ou le clinicien fait des hypothèses et conceptualise les problèmes du patient. La section Plan est la dernière section. Le clinicien note ce qu’il est prévu de faire au cours des rendez-vous du patient.

Le but des notes S.O.A.P. est multiple : améliorer la qualité et la continuité du traitement ; faciliter la communication entre les professionnels ; faciliter la mémoire des détails de chaque situation ; permettre une évaluation continue des progrès du patient et du traitement.

Pour Cameron et Turtle-Song, les notes S.O.A.P. ont pour but d’augmenter la qualité et la continuité des services rendus au patient, d’aider les cliniciens à se rappeler des détails des prises en charge. Elles permettent d’aider les cliniciens à identifier, classer par ordre de priorité et suivre l’évolution des problèmes du patient. Enfin, l’évaluation des progrès du patient et de l’intervention est plus facile avec les notes S.O.A.P. d’après Cameron, Susan, and Imani Turtle-Song. « Learning to write case notes using the S.O.A.P. format. » Journal of Counseling & Development 80.3 (2002): 286-292.

les notes S.O.A.P.

Le format S.O.A.P. est sensible à la théorie de référence du clinicien. Par exemple, ce que le clinicien relève et le sens qu’il donne à ses observations dépend de la théorie utilisée. De plus, certains contextes théoriques s’accommodent plus facilement que d’autres du format S.O.A.P. Les psychothérapeutes travaillant avec la théorie psychanalytique peuvent être déroutés par cette méthode.

Certains cliniciens peuvent également trouver le format S.O.A.P. trop restrictif. Ils ne reconnaissent pas dans les rubriques ce qui fait l’essentiel du travail psychanalytique avec leurs patients. Pour pouvoir construire un format de notes adapté au cadre psychodynamique, il faut tout d’abord prendre en considération ce qui fait la spécificité de la thérapie psychodynamique. Dans la partie suivante, les éléments de base de la théorie et de la technique de la psychothérapie psychodynamique vont être rappelés. Puis la place de l’écriture dans la psychanalyse sera resituée, ce qui permettra de présenter la méthode de prise de notes.

Les notes cliniques et la psychanalyse

Dans le contexte psychanalytique, il existe peu de textes qui traitent des notes cliniques dans un contexte psychodynamique. Pourtant, l’écriture est une des sources de la psychanalyse. On sait en effet l’importance de la correspondance entre Sigmund Freud et Willhem Fliess dans l’invention de la psychanalyse. Lettre après lettre, Freud y confie ses espoirs, ses élans, ses découragements parfois dans un transfert massif sur son ami berlinois. Ironiquement, la talking-cure a pour origine une writing cure et même une publishing cure (Mahony, 1994) Plus tard, Freud gardera l’habitude d’écrire à de nombreux correspondants. Les lettres adressées à Karl G. Jung, Sandor Ferenczi, Ernest Jones ou à des non-analystes comme Albert Einstein ou Romain Rolland l’aident à préciser ses idées ou même à faire progresser son auto-analyse.

Le peu d’intérêt manifesté par les psychanalystes pour les notes cliniques tient pour une part à Freud lui-même. En effet, Freud déconseillait la prise de notes pendant la séance d’analyse (Freud, 1912). Il considérait que l’écriture risquait de conduire l’analyste à se focaliser sur des détails et finalement à ne trouver dans le matériel clinique que ce qui correspond à ses inclinations ou ses croyances. L’injonction célèbre de W. R. Bion d’être dans la séance « sans mémoire et sans désir » va également dans ce sens. Bion observe les événements de la séance et pense que la tentative de se souvenir ou de faire trace risque de les détruire. Cependant, même si ces objections doivent soigneusement être prises en compte, c’est d’abord l’effet sur le processus analytique qui doit être considéré. Howard B. Levine note que dans certains cas, l’écriture pendant la séance a été une aide précieuse pour conserver intacte sa capacité de penser. Dans les situations cliniques ou les processus d’identification projective sont importants, la page et le travail d’écriture fonctionnent comme des containers qui garantissent à l’analyste que sa capacité à penser n’a pas été gravement endommagée.

Ces situations sont cependant extrêmes et les avertissements de Freud comme ceux de Bion doivent être entendus. Il faut néanmoins prendre en compte qu’ils concernent les notes prises pendant la séance. Les notes prises après la séance, qui sont l’objet du présent article – ne posent pas cette difficulté au traitement analytique. En tout cas, elle n’en posait pas lorsque Max Graf, le père du petit Hans, note les faits et gestes de son enfant, d’abord à son insu, puis sous sa dictée, avant de les rapporter à Freud.

Pendant des années, les notes cliniques sont restées presque au-delà de l’horizon des psychanalystes. Pour Wallerstein et Sampson (1971), les notes cliniques sont un matériel formidable pour la recherche clinique. En effet, ces notes permettent d’accéder à des observations faites par des observateurs expérimentés. Elles sont faciles à obtenir dans de bonnes conditions éthiques, elles sont plus facilement exploitables que des transcriptions de séances enregistrées au dictaphone.

Thomas Szasz y fait une brêve allusion, mais les développements les plus importants sont apportés par les psychanalystes de groupe. Cet intérêt particulier des psychanalystes de groupe pour les notes cliniques s’explique sans doute par deux facteurs. Le premier est la nécessité de documenter leur pratique pour en rendre compte de la manière la plus objective possible. La seconde au fait qu’en situation de groupe, les psychothérapeutes ont à traiter un matériel plus abondant et plus complexe qu’en situation individuelle. La prise de note offre alors un espace de dépot et de réflexion très utile.

Dans ce contexte, il faut faire une place particulière au travail de Gimenez et Barthelemy (2013) qui ont développé un système de prise de notes permettant de représenter l’expérience sensorielle, cognitive et émotionnelle du clinicien dans un cadre psychodynamique. Leur système est original parce qu’il tient compte de la position particulière de l’observateur dans le dispositif groupal. Les notes peuvent donc être prises pendant la séance par l’observateur, sans que cela nuise au processus analytique. Elles sont ensuite relues après la séance avec les co-thérapeutes. Les auteurs insistent sur le fait que le processus d’attention flottante est actif pendant la prise de notes. Le clinicien doit porter son attention sur les constructions défensives, les motifs d’anxiété ou d’intérêt qu’il retrouve pendant la prise de notes.

Le système de Gimenez et Barthelemy est organisé en quatre colonnes : les communications verbales, les scénarios, les pensées, émotions, transfert, le transfert et l’inter-transfert.

1. Les communications verbales et la chaîne associative groupale. Cette colonne contient tout ce qui peut être vu et entendu dans le groupe. Les sensations sont décrites avec le plus grand détail afin de donner une image précise de l’événément. La tonalité affective, le rythme, les dimensions spatiales sont à noter. Les chaînes associatives groupales sont également notées dans cette colonne. Elles permettent de prendre en compte la polyphonie groupale (Kaës, 1994).

2. Les scénarios groupaux. Dans cette colonne, le clinicien note les scénarios décrits dans le groupe ou ceux qui se produisent dans les groupes. Les phrases sont descriptives : “quelqu’un fait quelque chose à quelqu’un d’autre face à un troisième qui regarde”. Cette colonne permet au clinicien de rendre compte des interactions entre les membres du groupe.

3. Les pensées, les émotions, le contre-transfert et l’inter-transfert. Cette colonne est celle ou le clinicien note les mouvements internes en relation avec l’expérience sensorielle est les associations groupales de la première colonne. Le clinicien note ses sentiments en réaction au groupe et reflète son accordage au groupe. Lorsque le groupe compte plus d’un psychothérapeute, l’analyse de l’intertransfert est noté dans cette colonne

4. Le rôle du tiers et la position auto/meta. Des hypothèses formulées en fonction du matériel recueilli dans les trois premières colonnes sont notées ici. Le clinicien transforme ce qu’il a observé en fonction de sa théorie de référence et donne son point de vue. Pour les auteurs, les hypothèses doivent rassembler des indices cliniques, offrir une explication des faits observés et avoir une dimension prédictive. En un sens, cette colonne est un container pour les trois autres colonnes et créé un espace de transformation où les pensées et la théorisation peuvent avoir lieu loin des réponses défensives au groupe.

Pour Gimenez et Pinel, la prise de notes est un outil de collaboration entre des cliniciens. Elle permet de comparer des points de vue différents et offre des manières de les associer. La prise de notes est la fondation de la recherche et de la communication entre chercheurs. Le système que je propose s’appuie à la fois sur format S.O.A.P. qui est classiquement utilisé dans les domaines de la santé et de la médecine, sur la dynamique transférentielle et sur les quatre grands systèmes de la psychanalyse.

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