Imputabilité au service du syndrome dépressif d’un agent consécutif à un changement de majorité municipale

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Un syndrome anxio-dépressif d’un agent après un changement de majorité municipale peut-il être reconnu comme une maladie imputable au service malgré l’avis défavorable de la commission de réforme ?

Tribunal administratif de Nantes, 6 octobre 2021, N°1707850

Oui, un syndrome dépressif peut être reconnu comme une maladie imputable aux conditions de travail si un lien direct est caractérisé entre la pathologie et l’exercice des fonctions professionnelles. Peu importe que la commission de réforme ait rendu un avis défavorable à cette reconnaissance. Tel est jugé le cas d’une dépression en lien avec un environnement professionnel caractérisé par des relations conflictuelles apparues avec l’élection d’une nouvelle municipalité, le lien entre la pathologie et les conditions de travail étant établi par plusieurs certificats et rapports médicaux.

Exerçant ses fonctions depuis 1996, une secrétaire de mairie d’une commune de 500 habitants est placée en congés de maladie en fin d’année 2012 pour syndrome dépressif et malaises. Courant 2015, elle demande la reconnaissance de l’imputabilité au service de sa maladie constatée en 2012. En juin 2017, le maire lui oppose un refus s’appuyant notamment sur l’avis de la commission de réforme qui avait émis un avis défavorable en estimant que l’ensemble des éléments du dossier faisait apparaître un état antérieur remontant au moins à 2002.

L’intéressée conteste cette décision devant le tribunal administratif qui lui donne raison.

Une maladie imputable à l’environnement professionnel

Le juge rappelle les conditions de reconnaissance de l’imputation au service d’une maladie : « une maladie contractée par un fonctionnaire ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct, mais non nécessairement exclusif, avec l’exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause ».

? L’article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires (tel que modifié par l’ordonnance n°2017-53 du 19 janvier 2017 portant diverses dispositions relatives au compte personnel d’activité, à la formation et à la santé et la sécurité au travail dans la fonction publique) précise que pour les maladies non désignées dans les tableaux de maladies professionnelles le fonctionnaire doit établir que « la maladie est essentiellement et directement causée par l’exercice des fonctions et qu’elle entraîne une incapacité permanente » d’au moins 25%. Cette disposition, qui n’était pas applicable au litige, a été codifiée à l’article L.822-20 du Code général de la fonction publique par l’ordonnance n°2021-1574 du 24 novembre 2021.

Pour caractériser le lien avec l’environnement professionnel de la pathologie dont souffre l’adjointe, le tribunal s’appuie sur de nombreux certificats et rapports médicaux :

  • un certificat médical, établi par le médecin psychiatre de l’intéressée, révèle que le syndrome anxio-dépressif est majeur et sévère et en lien avec son travail ;
  • le lien avec les conditions de travail est également caractérisé par deux rapports de deux médecins psychiatres agréés (rapports établis à la demande du centre de gestion de la fonction publique territoriale de la Sarthe puis du comité médical départemental de la Sarthe) ;
  • un autre certificat médical indique que l’ancienne secrétaire souffre également de troubles cardiaques causés par un stress professionnel ;
  • le médecin du travail a mentionné dans un courrier que les difficultés professionnelles rencontrées coïncident avec l’élection de la nouvelle municipalité en 2001, « qu’elles ont empiré au fil des ans et que son dossier médical ne mentionnait aucun problème antérieur » ;
  • enfin, l’ensemble de ces constations est corroboré par un certificat médical en 2016 par un médecin psychiatrique.

Tous ces éléments permettent au juge de considérer que le syndrome dépressif et les troubles cardiaques sont en lien avec les conditions de travail caractérisé « par des relations conflictuelles qui sont apparues en 2001 à l’arrivée de la nouvelle municipalité ».

Absence de fait personnel de l’agent de nature à empêcher la reconnaissance

Le juge rappelle qu’il existe des exclusions empêchant la reconnaissance de l’imputabilité : il s’agit du fait personnel de l’agent ou de circonstances particulières.

En effet, « une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service (…) sauf à ce qu’un fait personnel de l’agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l’aggravation de la maladie du service » (CE, 13 mars 2019 : n°407795).

? Par une décision du 22 octobre 2021, le Conseil d’État a censuré la position de juges du fond qui n’avaient pas recherché si un fait personnel pouvait détacher la survenance de la maladie (syndrome dépressif) du service. En l’espèce, l’employeur de l’agent soutenait que l’agent « avait adopté dès le changement de président et de directrice une attitude systématique d’opposition ». L’affaire a été renvoyée devant la cour administrative d’appel de Versailles (CE, 22 octobre 2021 : N°437254).

Ainsi, aucun état pathologique préexistant ne doit avoir été constaté.

Au cas présent, ni les rapports des psychiatres agréées, ni le courrier du médecin du travail ne révèlent des antécédents psychiatriques préexistants.

L’ex-secrétaire ne présentait « aucune prédisposition ou pathologie antérieure à l’apparition d’un syndrome anxio-dépressif ou de troubles cardiaques », de sorte « qu’aucun fait personnel de l’agent ou toute autre circonstance particulière ne conduisent à détacher ces pathologies du service ».

Le juge impute donc la dépression et les troubles cardiaques au service. L’arrêté du maire est annulé.

? En 2015, le Conseil d’État (Conseil d’État, 19 janvier 2015, N° 377497) a jugé imputable au service l’état anxio-dépressif d’un agent d’entretien placé en congé de maladie après des dégradations systématiquement commises dans les salles de classe après son passage pour les nettoyer. La dépression révélant une « faille psychique » peut être imputée au service dès lors que la faille ne s’était jusqu’alors pas manifestée, et que la dépression dont souffrait l’agent constituait une conséquence des agissements dont il avait été victime au travail.

En 2021, la cour administrative d’appel de Marseille a admis comme étant imputable au service le syndrome anxio-dépressif d’une ATSEM (CAA Marseille, 1er avril 2021 n°19MA04324). Par cet arrêt, la cour rappelle qu’une maladie contractée par un agent peut être regardée comme imputable au service sans qu’il soit nécessaire d’établir l’existence d’un incident survenu dans le cadre du service.

Tribunal administratif de Nantes, 6 octobre 2021, N°1707850 (PDF)

Via le site www.observatoire-collectivites.org

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