Un officier de la «Royale» jugé pour harcèlement moral

Revue de Presse

Partager cet article :

Le procès d’Éric Delepoulle, ancien commandant de la frégate La Fayette, un des fleurons de la Marine nationale, s’ouvre ce lundi devant le tribunal correctionnel de Marseille. Il est jugé pour harcèlement moral après le suicide à bord d’un de ses sous-officiers.

L’affaire est rarissime. Pas tant à cause du chef d’accusation, le harcèlement moral, contre un haut gradé de la Marine, ou du drame qui se serait suivi, le suicide d’un de ses jeunes subalternes, mais parce que l’affaire a transpiré hors les murs si hermétiques de l’armée pour éclater au grand jour, devant la justice. Lundi matin, Éric Delepoulle, ancien commandant de la frégate La Fayette, un des fleurons de la Marine nationale, doit comparaître devant la 8e chambre correctionnelle militaire du tribunal correctionnel de Marseille, après le suicide à bord du second-maître Sébastien Wanke, en juin 2010.
Pacha du «bateau de l’enfer», décrit comme un «tyran» adepte des punitions et des humiliations par la majorité de son équipage, Éric Delepoulle est également poursuivi pour «dégradation des conditions de travail pouvant porter atteinte au droit, à la dignité et à la santé d’autrui». Il encourt un an de prison ferme et 15.000 euros d’amende.

En première ligne des brimades

Le sous-officier Sébastien Wanke a 32 ans, dix ans de Marine derrière lui, sa passion, «son rêve d’enfance», dit sa famille. Il est le maître d’hôtel du commandant Delepoulle. Son homme à tout faire, dont les missions vont de l’entretien de sa chambre et de son linge à la supervision de la cuisine, du service à table aux travaux de tous ordres mais aussi au service du «carré commandant», réunissant les six officiers les plus gradés. Exigence, disponibilité de tout instant. «Sébastien ne pouvait pas souffler, il était toujours sur le pied de guerre, il dormait très peu», témoigne le second-maître Arnaud Mille, collègue du défunt. Surtout, il est en première ligne des brimades qui semblent caractériser le commandement de Delepoulle.
Sébastien Wanke se pend dans la nuit du 14 au 15 juin 2010 alors que le bâtiment de guerre est au large de la Sicile, au terme de huit mois de mission dans l’océan Indien, et à moins de trois jours de son retour au port militaire de Toulon. Il est retrouvé dans le «coqueron» du commandant, le local situé à l’avant du navire, servant à stocker les vins et spiritueux réservés au commandant pour ses repas et réceptions.

Espoirs déçus

Quelques jours plus tôt, le 8 juin, Sébastien Wanke découvre sa notation 2010. Un point en plus, seulement. Peu cher payé pour le jeune homme saturé de tâches. Espoir déçu pour son avancement, pour ses projets de mariage avec Céline, en septembre, pour l’emprunt de l’appartement qu’ils venaient d’acquérir.
Les 75 témoignages de l’équipage de la frégate, sur un effectif de 153 personnes, officiers et matelots mêlés, en attestent: sous les ordres d’Éric Delepoulle, ils ont «vécu l’enfer». «Il est présumé innocent… mais pas pour longtemps», prophétisent des sources proches du dossier. L’instruction est accablante. Si l’enquête de commandement, interne à la défense, ne révèle rien sur la responsabilité de Delepoulle, l’enquête préliminaire, elle, diligentée par la gendarmerie maritime de Toulon à la requête du parquet, le met largement en cause.

Ambiance catastrophique

L’ambiance à bord est «catastrophique», «exécrable», dénoncent les marins en permanence «sous pression», toujours plus sollicités, toujours plus réprimandés. Un cahier de demandes de punitions en recense 78 de juillet à décembre 2009, et 36 sur cinq mois en 2010. Un autre cahier, «occulte», fait même état de punitions prononcées «avec sursis», traduisant la «perversité» et la «psychopathie» du commandant, résume Me Jean-Jacques Rinck, avocat de la famille de Sébastien Wanke. Gutehrle, le commandant en second lui-même, qui se heurte souvent avec Delepoulle, dénonce cette situation. Alors que le navire est en escale au Kenya, il demande même à être débarqué. À l’instar de quatre capitaines d’arme, qui se sont succédé depuis 2008. Un signe d’autant plus anormal que ces postes ne changent que tous les trois ans en moyenne dans la Marine. Une mutinerie «silencieuse» intervient même en 2009 quand l’équipage exprime un refus collectif de fêter le passage de la ligne de l’Équateur, comme le veut une tradition ancestrale de la Marine. En 2009, c’est le quartier-maître J. qui fait une tentative de suicide. À son retour, il sera puni pour cet «acte autoagressif ayant entraîné une incapacité de travail supérieure à un mois».
Le témoignage du médecin du bord, Stéphane Crépeau, est édifiant. Selon lui, Delepoulle était «imbus de sa personne», «obtus», «se prenant pour Dieu à bord», considérant l’équipage comme «son petit personnel», «s’obstinant à ignorer les problèmes» que lui faisait remonter le commandant en second, au risque de «faire des choses dangereuses» et de «mettre en jeu la sécurité du personnel du bord». Dans son PV d’audition, il conclut: «Ce qui compte, c’est sa personne, ses étoiles, sa carrière, et il est prêt à passer outre la résistance de ses hommes pour réussir.»

L’officier et son avocat rejettent les accusations

L’enquête révèle d’autres déviances du «pacha»: le grand train qu’il menait aux frais de l’armée pour des joies plutôt personnelles. Au début de la procédure, le parquet l’a même poursuivi pour «détournement ou dissipation par militaire de deniers ou d’objets remis lors du service». À quai comme en mer, les réceptions et cocktails se succédaient dans une extravagance de mets et de caisses de champagne, allant jusqu’à 200 invités de sa sphère privée: son banquier, son comptable, son plombier, sa famille, ses amis, des religieux, des magistrats de la cour d’appel…, détaillent des témoignages de la procédure. «Tout cela à des fins privées, sans lien avec une quelconque mission de rayonnement de la Marine nationale française, comme il tente de le défendre», grince Me Rinck.
S’ils rejettent en bloc toutes les accusations, Éric Delepoulle comme son avocat, Me Watchi-Fournier, se murent aujourd’hui dans le silence. La quarantaine, marié avec 6 enfants, le prévenu est désormais loin des flots. «On lui a retiré le commandement de navires mais il a été décoré de la Légion d’honneur et bombardé à l’État-major des armées, où il est chef de projet des nouvelles technologies en matière d’armement», s’indigne un militaire qui l’a connu. La famille de Sébastien Wanke demande 190.000 euros en réparation du préjudice moral subi, 150.000 euros au titre des souffrances endurées et 300.000 euros en réparation de la «perte de chance de survie», détaille son avocat.
Retrouvez l’article de Delphine de Mallevoüe sur le site du Figaro.

A lire dans le magazine

Réseaux Sociaux

Suivez-nous sur les réseaux sociaux pour des infos spéciales ou échanger avec les membres de la communauté.

Aidez-nous

Le site Souffrance et Travail est maintenu par l’association DCTH ainsi qu’une équipe bénévole. Vous pouvez nous aider à continuer notre travail.