En provenance de Etats-Unis, le ranking, est une pratique managériale qui tend à évaluer puis classer les collaborateurs afin « d’éliminer » les moins performants. Quelques tribunaux se sont déjà prononcés sur la licéité de ce procédé. Parce que dans certaines firmes, l’augmentation ininterrompue des performances devient « la » règle, le « ranking » en devient l’instrument de mesure.
A partir des entretiens annuels d’évaluation, les managers doivent classer leurs collaborateurs en plusieurs catégories. Pour ce faire, plusieurs données peuvent être utilisées, dont les résultats desdits entretiens.
Si l’on met en exergue les catégories les plus significatives, on retrouve toujours :
- Les « hauts potentiels ». Ce sont les collaborateurs les mieux notés, compte tenu des résultats extraordinaires qu’ils obtiennent en dépassant largement les objectifs fixés. De plus, leurs scores ont un impact significatif sur leurs équipes au sein de laquelle ils sont parfaitement intégrés ;
- Les « médians ». Ceux-ci atteignent tout ou partie de leurs objectifs, sans pour autant les dépasser. De la même manière, leurs façons de travailler sont satisfaisantes et conformes aux attentes de leur hiérarchie ;
- Les « faibles contributeurs ». Enfin, en bout de chaîne, se trouvent ceux dont la performance, le comportement et l’incidence sur le résultat de l’équipe ne sont pas satisfaisants.
Certaines entreprises auraient exigé de leur management que la catégorie des « faibles contributeurs » corresponde au moins à un pourcentage de 4 à 6 % des effectifs qu’il gère, pour imposer un jugement sur les salariés. Toute la difficulté réside dans l’identification des intéressés. Pour ce faire, certaines procédures internes d’entreprise décrivent les signes extérieurs qui les caractérisent.
« Ils » :
– ne respectent pas les délais ;
– ne s’impliquent pas ;
– s’absentent souvent ;
– font l’objet de réclamations ;
– effectuent un travail qui est souvent à reprendre ;
– résistent et se plaignent du management ;
– n’acceptent pas les conseils ;
– rejettent leurs responsabilités sur autrui ;
– ont une influence néfaste sur leurs équipes ;
– communiquent mal ;
– font preuve de mauvais esprit.
Le dispositif de « Low Performance Management » n’est donc pas illicite en soi. Il peut même être utilisé par l’entreprise pour se préconstitué, le cas échéant, les motifs d’un licenciement sur la base des « insuffisances » constatées. Encore faut-il se prévaloir de contre-performances reposant sur des éléments précis, objectifs et imputables au salarié à l’exclusion de toute cause imputable à sa santé, à l’entreprise ou à une conjoncture économique défavorable.
Ce classement implique généralement le déclenchement du programme « Managing Low performance » aussi dénommé « procédure de mise en garde ». Celle-ci se concrétise par plusieurs entrevues de cadrage pour fixer à chaque collaborateur concerné des objectifs d’amélioration de ses points faibles, et… lui indiquer le risque probable d’une « séparation ».
Dans le cadre du programme dénommé « Managing Low performance », trois phases sont prévues :
- 1ere phase : audit préalable permettant d’identifier le ou les problèmes avec le collaborateur, envisager les éventuelles causes étrangères, déterminer des objectifs précis, décliner un calendrier de leurs réalisations et fixer une période de test ou probatoire de 3 à 6 mois selon la gravité des insuffisances ou les responsabilités du salarié, le tout formalisé dans un document : le « plan d’amélioration » ;
- 2ème phase : déroulement du plan d’amélioration et période d’observation. Pendant la période de test, le collaborateur oeuvre pour atteindre ses objectifs. Un « plan d’action correctif » peut permettre de les adapter – si nécessaires – en fonction de l’évolution de la situation. Cela est décidé à l’occasion d’entretiens intermédiaires (« revues ») ;
- 3ème phase : bilan et prise de décision en ce qui concerne la poursuite, la modification (rétrogradation) ou la rupture du contrat de travail au moyen d’un licenciement.
A l’occasion de ce processus, le salarié est averti des risques encourus si aucune amélioration n’est constatée. Il est souvent conseillé de documenter toutes les étapes du programme, et en particulier, de réaliser des comptes-rendus écrits des entretiens. La traçabilité du processus suivi apparaît essentielle. Aussi, l’élimination des « maillons faibles » se positionne telle dans le cadre d’un processus de licenciement pour insuffisance professionnelle.
Pour le tribunal de Grenoble, « le classement des salariés en cinq catégories a pour but de déterminer leur performance individuelle, qui est appréciée par rapport aux performances réalisées par les salariés exerçant une fonction comparable. Si le classement d’un salarié au niveau PRB1 implique le déclenchement du programme « Managing Low Performance », ce programme a pour objectif, non de marginaliser le salarié en cause, mais, au contraire, de lui permettre de se remettre à niveau en suivant les trois phases prévues, à savoir le plan d’amélioration, le plan d’action correctif et une période probatoire de trois mois.
Ainsi, ce dispositif s’inscrit, non dans une logique disciplinaire, mais dans une optique d’adaptation permanente du personnel aux exigences de l’entreprise, par la formation.
Pour ce qui est du licenciement, si les pièces du dossier décrivant le management des PRB1 mentionnent bien à l’issue du processus du Low Performance Management la possibilité de sanctions pouvant aller jusqu’au licenciement, cette issue n’est qu’une éventualité. «
Les méthodes de gestion des faibles contributeurs ne semblent donc pas condamnées par les juges. Encore faut-il que la règle du jeu fixée par l’entreprise soit respectée par le management.
Ainsi, a pu être condamné pour licenciement abusif l’employeur qui, après avoir mis en garde un salarié contre l’insuffisance de ses résultats et lui avoir accordé un délai de quatre mois pour améliorer ses performances, met fin à son contrat de travail au bout de trois mois seulement, et sans lui permettre de terminer sa période de quatre mois. Aucun motif spécifique expliquant cet « empressement » n’était invoqué par l’entreprise – si ce n’est l’absence de redressement des résultats par l’intéressé au cours de la période de mise en garde.
Dès lors qu’il a accordé au salarié un délai minimum pour améliorer ses performances, l’employeur est en effet tenu d’en attendre l’expiration avant de prendre une décision sur l’avenir professionnel de l’intéressé.
Attention, une telle pratique utilisée par un management non formé peut s’avérer dangereuse. D’après la jurisprudence peuvent constituer un harcèlement moral les méthodes de gestion mises en oeuvre par un supérieur hiérarchique dès lors qu’elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d’entraîner une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ?
Dans ce cas il s’agissait d’un directeur de l’établissement qui soumettait ses salariés à une pression continuelle, des reproches incessants, des ordres et contre-ordres dans l’intention de diviser l’équipe, se traduisant, en ce qui concerne l’opprimé par sa mise à l’écart, un mépris affiché à son égard, une absence de dialogue caractérisée par une communication par l’intermédiaire d’un tableau, et ayant entraîné un état très dépressif.
Sylvain Niel, Avocat conseil en droit social, entrepreneur.