Un film de Nicolas Silhol avec Céline Sallette, Lambert Wilson, Stéphane de Groodt, Violaine Fumeau.
Emilie Tesson-Hansen est une jeune et brillante responsable des Ressources Humaines, une “killeuse”. Suite à un drame dans son entreprise, une enquête est ouverte. Elle se retrouve en première ligne. Elle doit faire face à la pression de l’inspectrice du travail, mais aussi à sa hiérarchie qui menace de se retourner contre elle. Emilie est bien décidée à sauver sa peau. Jusqu’où restera-t-elle corporate ?
ENTRETIEN AVEC NICOLAS SILHOL
Quel est le point de départ de CORPORATE ?
J’ai toujours été intéressé par les rapports humains en entreprise. Ce n’est pas vraiment un hasard puisque mon père est prof de management en école de commerce et consultant en Ressources Humaines. J’ai passé beaucoup de temps à discuter de ces enjeux avec lui. Mon premier court-métrage racontait déjà une séance de jeu de rôles dans une entreprise de pompes funèbres. C’était plutôt une comédie qui décrivait l’entreprise comme un théâtre où chacun doit jouer un rôle et mettre de côté ce qu’il ressent en tant qu’individu. Ensuite, comme beaucoup d’entre nous, j’ai été frappé par la série de suicides chez France Télécom. Je découvrais qu’un certain système de « management par la terreur » pouvait réellement détruire des vies et des individus. Le cynisme du PDG de France Télécom, déclarant qu’il fallait mettre un terme à cette « mode du suicide », m’avait particulièrement choqué. Comme si c’était ceux qui souffrent qui étaient responsables…
CORPORATE ne se limite pas à « son sujet » dans le sens où il ouvre sur une question plus large : la responsabilité.
Oui, dès le départ, c’est la question de la responsabilité qui m’a intéressé, la responsabilité de ceux qui acceptent de faire le « sale boulot ». Peut-on les juger en partie responsables de la mort d’un salarié qu’ils ont cherché à faire craquer ? C’est la complexité de cet enjeu juridique et éthique qui m’a donné envie d’écrire ce film. Le personnage d’Emilie m’a été inspiré par le témoignage d’une vraie manageuse. Après m’avoir raconté comment elle avait mis la pression à des salariés dans la perspective très claire de les pousser dehors, elle m’a simplement dit : « Ça ne passera plus par moi. ». J’ai trouvé cette formule très forte et très courageuse. C’est l’affirmation d’une rupture personnelle avec le système. Je crois que ce genre de prise de position individuelle peut vraiment faire bouger les lignes, parce qu’en plus de se libérer soi-même, ça libère les autres, ça fait boule de neige. Et je pense que ça dépasse largement le cadre de l’entreprise.
Mais au départ, Emilie se désolidarise du système par intérêt personnel…
Le premier pas qu’elle fait vers l’inspectrice du travail est clairement pour sauver sa peau. Emilie est proactive et quand elle voit que la situation est en train de se retourner contre elle, elle prend les devants, elle essaye de négocier la vérité avec l’inspectrice. Je ne voulais surtout pas raconter la rédemption d’une méchante personne qui culpabilise, reconnaît soudain le mal qu’elle a fait et décide de changer de camp. Avec des camps identifiés : celui du bien et celui du mal. Dans CORPORATE, il est plus question d’éthique que de morale. Je ne veux juger personne. L’intérêt dramatique est que pour se retourner contre l’entreprise, Emilie est finalement obligée de se retourner contre elle-même. Au bout de l’enquête qu’elle mène sur elle-même, la seule preuve qu’elle a contre le système, c’est cette vidéo qui l’accable.
Le film raconte aussi l’histoire d’une libération…
Au début, Emilie se confond totalement avec sa fonction et son costume. Gestionnaire des Ressources Humaines, elle gère. Elle incarne les valeurs de son entreprise. D’où ce titre : CORPORATE. Mais sous le coup de la pression qu’elle subit sur tous les fronts, elle lâche prise par à-coups. Sa carapace se fissure. Elle reprend contact avec ses émotions, avec son corps, avec ses ressentis. En assumant sa responsabilité, elle se réconcilie avec elle-même. J’ai toujours été fasciné par les personnages prisonniers de leur fonction, qui se débattent avec leur propre rôle. J’avais déjà exploré cette dialectique de l’amour propre et de la haine de soi dans un court-métrage, à travers le personnage d’un humoriste trash poursuivi par une blogueuse, qui finit par se mettre à nu face à elle.
Ici, il s’agit d’un personnage féminin…
J’ai l’impression que les femmes sont plus douées que les hommes pour se remettre en question… alors je leur fais plus confiance pour essayer de changer les choses. En tout cas, ça m’intéressait d’interroger la place des femmes dans l’entreprise, le rapport des corps aussi. Emilie s’est imposée dans un monde encore largement dirigé par des hommes en jouant parfaitement le rôle qu’on attend d’elle, celui de l’executive woman. Elle est à la fois sexy et virile.
Avez-vous enquêté en entreprise pour écrire le scénario ?
Ce sont les questions juridiques et éthiques qui m’intéressaient avant tout, pas le quotidien de l’entreprise. J’ai donc surtout enquêté auprès des inspecteurs du travail. C’est par leur prisme que j’ai découvert tous ces outils de management – la courbe du deuil, la mobilité forcée, l’évaluation comportementale… Comment prouver un lien de causalité entre le suicide d’un salarié et ses conditions de travail ? C’est un enjeu très compliqué auquel ils sont confrontés. Quelles sont les preuves éventuelles ? Comment celles-ci peuvent être effacées ? J’avais aussi envie de rendre justice à cette profession, qui est constamment remise en question et souffre d’une réputation affreuse, alors qu’ils font un travail indispensable et passionnant. J’ai pris beaucoup de plaisir à construire le personnage de Marie Borrel, l’inspectrice. C’est un corps étranger et libre qui débarque dans l’entreprise. Comme un chien dans un jeu de quilles ou plutôt comme un courant d’air qui vient faire claquer les portes. Elle va où elle veut, elle parle comme elle veut, elle fait celle qui ne comprend pas, elle dérange… Avec Nicolas Fleureau, mon co-scénariste, on pensait souvent à Columbo !
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