Internet est à la médecine ce que la pornographie est à l'érotisme

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Le web s’invite entre le médecin et le patient dans la recherche du diagnostic. Par Richard Torrielli (Docteur, ancien médecin spécialiste au CHU de Bordeaux)

Lequel d’entre nous, qu’il soit généraliste ou spécialiste, ne s’est trouvé parfois en difficulté face aux questions posées par un patient ? Que ce soit par absence de possibilité d’apporter une réponse claire, par souci d’humanité avant de dévoiler un pronostic fâcheux, par défaut de communication satisfaisante, ou toute autre raison, en général intriquée… Le sentiment d’être démuni, ou maladroit, ou insuffisant devant la souffrance, quels que soient son type et son intensité, guettent chaque médecin devant un patient inquiet.
De son côté, le patient, dominé par l’inquiétude, part en quête d’un supplément de certitude : Mon docteur m’a-t-il tout dit ? Ne se trompe-t-il pas ? Est-il vraiment compétent ? Quel est mon avenir ? Quelle est cette menace confuse crée par des explications obscures, oubliées avant même d’être comprises, qui m’étreint en sortant de consultation ?
Jadis, les plus angoissés d’entre les patients, les hypochondriaques, ou ceux qui voulaient simplement en savoir davantage, avaient recours à un gros dictionnaire. Au frontispice de sa page de garde une allégorie féminine surgissait derrière un L majuscule et soufflait sur l’aigrette d’un petit fruit sec, rond et aérien, celui du pissenlit, pour en faciliter la dissémination, en affirmant : « Je sème à tout vent ».
Aujourd’hui, la plupart d’entre eux cèdent au « réflexe » Internet : chercher sur la toile d’un coup de clavier un diagnostic confirmé, un éclaircissement du discours médical, la vérité d’un pronostic, voire la possibilité d’apporter la contradiction à son « docteur ». On ne saurait les en blâmer. Les « professionnels de la profession » eux-mêmes surfent allègrement sur Internet pour combler un oubli, voire une ignorance, ou tout simplement se documenter, mettre à jour leurs connaissances. Dans le maquis du web, les médecins sont censés faire la part du bon grain de l’ivraie. Ce n’est pas le cas d’un patient, rendu fébrile par la crainte de voir ses craintes fondées, ou dans la hargne de coincer son médecin coupable d’une erreur.
Internet est à la médecine ce que la pornographie est à l’érotisme. Il en a la crudité, la cruauté, la blafardise, la violence. Il donne à voir une représentation triviale, simpliste, réductrice, de l’être humain et de son destin face aux aléas de sa santé. Dans un tableau sans nuance livré tout à trac à domicile, comment discerner chaque cas au sein de ce qui est – au mieux – une ingrate question d’internat ? Sans parler des « forum » où se déversent les rancœurs, les échecs ressentis – plus ou moins à juste titre – de prises en charge discutables ou hâtives. Des tribunes où se décrivent avec véhémence les errements diagnostiques, les complications des maladies, les effets délétères des traitements. Face à une représentation aussi douteuse des troubles de l’être humain que celle du sexe par les films X, comment chacun de nous (et pas seulement un patient) ne verrait son angoisse majorée ?
Entre la connaissance universelle, et la façon de l’appliquer à son cas singulier, que signifie la quête de celui qui consulte ? Vous aviez remarqué qu’on dit consulter le dictionnaire comme on dit consulter un médecin…

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