Le soin ? De qui ? De quoi ?

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Prendre soin de soi par les deux bouts, le somatique et le psychique. Ne pas sacrifier l’un au bénéfice de l’autre. Ne pas souscrire non plus aux chants des sirènes et porter un regard sur le contexte, l’entourage, le cadre. Pas facile de rester en bonne santé. Au travail peut-être plus qu’ailleurs.


Lionel Leroi-Cagniart, Psychologue du travail, membre du réseau Souffrance et Travail. Un article paru dans la revue Pratiques. Cahiers de la médecine utopique n° 95, octobre 2021


Depuis quelques années déjà, les propositions de massages, de bien-être, de sophrologie, de yoga en tous genres et autre coaching aux atouts fluorescents se multiplient. Un peu au rythme des vacances à la ferme, chambres d’hôtes isolées dans la nature, igloos, tentes et tipis à la campagne, sans parler des retraites en monastères. Pour fuir ? Se ressourcer ? Une ode à la naturopathie dans tous ses états. Et qui mène à quelques dérives. Mélangez un peu de grec et de latin, fabriquez de jolis petits mots qui disent à moitié ce qu’ils désignent et faites en sorte que des personnes accordent du crédit à votre tambouille. Restez dans les clous de la loi, ne soyez pas démasqués et tout ira bien.

Pendant que fleurissaient des lieux et des services de ressourcement, que se développait une économie du soin et de l’attention, les pouvoirs publics s’intéressaient aux sectes. Les Mandarom fleurissaient dans les régions à l’ombre des vallées et des lieux perdus. La Miviludes annonçait veiller aux dérives sectaires. Mais avant qu’advienne la dérive, avant que surgisse l’abus de faiblesse, il faut bien que quelque chose dans la société fabrique un peu d’asthénie générale. « À quelque chose malheur est bon ». Suffirait-il d’un proverbe ? Sur le terreau des désespoirs prospèrent les croyances. L’église garantit le paradis. Les hommes promettent du résultat. Certains plus que d’autres avec les mots empruntés au lexique mystique. Le pompon est décroché aujourd’hui par ceux qui proposent aux abîmés des organisations du travail de se réfugier dans leurs gîtes et autres mas provençaux. Au programme : yoga, régime détox, marche à pied, caresse des arbres, recherche des énergies telluriques ou cosmiques, activités plus ou moins culturelles ou manuelles. Et manger des champignons ? Leur vocation affichée : retrouver la santé sans rien changer au monde du travail qui détruit, rend malade, estropie.

Au sommet des bienfaiteurs autodéclarés, on trouve des investisseurs qui misent sur des cliniques spécialisées à fort potentiel pécuniaire, où pourront se réfugier les gueules cassées du travail. À la guerre comme à la guerre… Des chercheurs reconnus ont pourtant démontré que c’est le travail qu’il faut soigner pour garder la santé des travailleurs ou même sauver des vies. S’organisent donc des structures avec des services qui proposent de soigner l’homme plutôt que le travail. Se faisant, elles participent à un jeu de bonneteau en laissant penser que l’homme au travail est fragile, mal formé, inorganisé ou fainéant. Cette approche spécifique divise et renvoie le laborieux à des responsabilités individuelles pour mieux faire oublier celles de l’organisation du travail qui s’exprime dans un rapport de subordination renforcé. Se faisant, en brisant les repères d’une réflexion constructive, le pouvoir managérial pousse l’individu vers sa solitude.

Par manque de moyen, le salarié ira au plus pressé, au plus prometteur et ne verra que le champ dans lequel il peut agir librement : lui-même, son corps et son esprit. Il consultera. Comme si le seul moyen de servir le capital était d’achever celles et ceux qu’on accuse de faiblesse alors qu’ils font tourner la machine économique. Pas d’inquiétude. On ne manquera pas de main-d’œuvre, ni de soldats. L’armée de chômeurs est là pour y pourvoir. La santé des travailleurs n’a jamais été le souci majeur de l’économie, qu’elle soit primaire, secondaire ou tertiaire.

Dans son livre, Histoire de la fatigue, Du Moyen Âge à nos jours, paru aux éditions du Seuil en 2020, Georges Vigarello développe le rapport entre l’homme et son utilité qu’on a cherché à mesurer quand il s’est agi d’en tirer profit, de « performer » dirions-nous aujourd’hui. À l’époque, c’était déjà en lien avec les capacités humaines de production au travail. Maximiser les profits versus optimiser les efforts de l’homme sans le casser complètement pour qu’il rapporte un maximum dans un système corseté par les exigences économiques de ceux qui en tirent avantage.

J’ai lu dans le mail d’une ancienne infirmière devenue cadre, aujourd’hui à la retraite et néanmoins très active : « La vraie révolution va être de s’occuper des gens abandonnés de tous et pas seulement de la médecine. ». Ça interpelle.

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Prendre soin de soi par les deux bouts, le somatique et le psychique. Ne pas sacrifier l’un au bénéfice de l’autre. Ne pas souscrire non plus aux chants des sirènes et porter un regard sur le contexte, l’entourage, le cadre. Pas facile de rester en bonne santé. Au travail peut-être plus qu’ailleurs.

Un article paru dans la revue
Pratiques. Cahiers de la médecine utopique n° 95, octobre 2021

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