Poème : Mémoire

Artistes du Travail

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Si tu sais bien te servir
D’une hache ou d’une scie,
C’est que reste dans les muscles du corps
La mémoire d’une joie de jadis.
Ce qu’apprenait
La main prudente
Qui tenait le ciseau
Sous le coup du marteau,
De nouveau presque sans effort
Revient et l’équilibre du
Mouvement se fait sans l’ordre
D’un regard-surveillant.
Ce sage savoir-faire,
Ces pratiques de travail,
Dans notre corps sans doute
Sont enfouis pour toujours.
Combien le puissant fleuve du temps
A enlevé de notre vie
Les meurtrissures de chaque jour,
Les causes justes, les méchants noms.
Le cerveau ne peut ni ne se souvient,
Il ne cherche même plus à garder
Ce que savent les muscles ou la peau,
La mémoire des doigts, celle des épaules.
Ces mouvements précis sont
Oubliés depuis longtemps,
Comme le cours d’un poème
Qu’on a lu dans sa mémoire.

Varlam Chalamov, Cahier de Kolyma 1957 ( Edt. Maurice Nadeau)

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