Infirmiers : dans les couloirs du désespoir

17 septembre 2016 | Burn Out, Stress Travail et Santé, Suicide Au Travail

Au moins cinq soignants se sont donné la mort cet été. Des drames qui mettent en lumière la souffrance des personnels hospitaliers face à leurs conditions de travail et au manque de réponse de leur hiérarchie. La Coordination nationale des infirmières appelle à la grève mercredi dans toute la France.

Un cortège sombre et silencieux. Ce mercredi matin, devant l’hôtel de ville de Martigues (Bouches-du-Rhône), les blouses blanches vont se rassembler, à l’initiative de la Coordination nationale des infirmières (CNI), qui appelle également à la grève dans toute la France. Les participants «sont invités à porter un brassard noir sur leur tenue professionnelle pour un témoignage de respect à nos collègues décédés cet été».

S’agit-il d’une mise en scène un brin macabre ? Nullement. «C’est l’expression d’une grande inquiétude», note la CNI. Au moins cinq infirmiers se sont en effet suicidés depuis le mois de juin dans des structures médicales. Des drames isolés, d’abord personnels, tous impossibles à expliquer par une seule cause. Il n’empêche, ils se sont répétés. Et ces gestes désespérés semblent faire écho à un climat lourd et pesant que l’on ressent dans le monde des soignants. «C’est au minimum un symptôme, lâche un ancien directeur des hôpitaux. Dans tous les établissements, le manque de personnel et la hausse de l’activité fragilisent les gens. Mais on n’a rien fait, on s’y est habitué. C’est un paradoxe, mais dans le monde hospitalier, il n’y a aucune sensibilité à la souffrance au travail.»

«Restructuration»

C’était le 24 juin au Havre, un vendredi matin. Une infirmière de 44 ans, en poste de nuit au groupe hospitalier, rentre chez elle. Et se pend. Elle a laissé une lettre à son mari, avec des mots sans ambiguïté. «Le centre hospitalier du Havre est en restructuration. On avait prévenu des tensions, nous raconte Agnès Goussin-Mauger, infirmière et secrétaire du syndicat CGT mixte médecin infirmier. En février, on avait eu un comité de restructuration, tous les syndicats s’étaient opposés à la façon de procéder. Les agents avaient évoqué leur stress et leur angoisse. La direction est passée outre.»

Tout s’est joué à la maternité de l’hôpital du Havre. La direction avait demandé au personnel soignant d’être «polyvalent», maître mot pour accompagner le changement. Depuis des années, cette infirmière était en pédiatrie. Mère de deux enfants, elle travaillait de nuit à mi-temps. Avec la polyvalence, on lui avait indiqué qu’elle pourrait se retrouver en réanimation néonatale. Elle ne le voulait pas ; elle l’avait dit et répété. A plusieurs reprises, les syndicats sont montés au créneau, insistant sur le fait que «la polyvalence demandée aux agents en pédiatrie était dangereuse, surtout en réanimation pédiatrique où le niveau de stress est maximum». Rien n’y a fait. Elle n’a pas supporté, elle a laissé une lettre ; elle se serait alarmée du cas d’un enfant qu’elle avait pris en charge, dix jours plus tôt, en réanimation et aurait mis en doute sa capacité à occuper ce poste.

A l’hôpital, cela a été évidemment la stupeur. La direction s’est dite effondrée. Dans un communiqué, elle a salué ses «qualités professionnelles». «Quand on a fait une demande d’accident de service, ajoute la syndicaliste, la direction n’a pas daigné répondre.» «J’en veux à cette pression qu’on colle aux infirmières, ces petites mains totalement indispensables au fonctionnement de l’hôpital», a déclaré le mari de l’infirmière. Dans le groupe hospitalier du Havre où travaillent plus de 4 500 personnes, il y a un seul médecin du travail. Et un poste et demi de psychologue.

«Harcèlement»

A Saint-Calais, près du Mans, c’est un cadre de santé d’une maison de retraite dépendant de l’hôpital qui s’est suicidé le 30 juin. L’histoire est bien sûr différente, «avec un contexte local particulier», insiste Philippe Keravec, responsable CGT du Mans. Il n’empêche, là comme au Havre, difficile de croire que l’hôpital et l’Agence régionale de santé n’étaient pas au courant de la tension.

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